« Le faible solde de 2023 en blé tendre est le fruit de l’effet ciseaux », Oscar Godin, Arvalis
Le
Dans son dernier rapport publié le 19 juillet 2024, l’Observatoire de la Filière du Pain et de la Meunerie (OFPM) a révélé que la marge nette de la filière blé tendre pour 2023 est estimée à 11€/tonne. Une chute importante par rapport à 2022, où cette marge atteignait 119€/tonne. Comment expliquer une telle différence en seulement un an ? Explications avec Oscar Godin, ingénieur Recherche et développement à Arvalis.
Dans son rapport publié le 19 juillet 2024, l’OFPM prévoit la marge nette de la filière blé tendre pour 2023 à 11€/t. Cela représente une différence conséquente avec 2022 (119€/t). Confirmez-vous ces chiffres ? Comment expliquez une telle variation d’une année sur l’autre ?
Oscar Godin : Ces chiffres sont bien réels et sont liés à la question de la temporalité de la production agricole. En 2022, la guerre en Ukraine a débuté. Cela a créé le phénomène d’inflation et une très forte hausse des prix, à la fois de vente, mais aussi des intrants. Tout réside dans le timing de cet événement. C’est arrivé fin février 2022. À ce moment-là de l’année, la plupart des céréaliers avaient déjà acheté une grande partie de leurs intrants, engrais, produits phytosanitaires, semences. Donc ils n’ont pas été trop impactés par la hausse des prix dans leurs achats. En revanche, quatre mois plus tard, en juillet 2022, ils ont vendu leurs récoltes à des prix très élevés. Cela vient expliquer un solde disponible exceptionnel de 119€/t en 2022.
Le problème, c’est qu’il y a un revers de la médaille. On le constate en 2023, avec une inversion du phénomène. Les agriculteurs ont acheté leurs intrants très chers, car le prix de l’azote notamment était très haut, l’inflation ayant fait augmenter l’ensemble des prix. Toutes les charges ont donc augmenté, et surtout les engrais. Entre le moment de l’achat des intrants et le moment de la récolte, il s’écoule quelques mois. Au moment de la vente, les prix du blé ont baissé. C’est l’effet ciseaux : les charges ont augmenté, les prix ont diminué. Les agriculteurs se sont retrouvés dans une situation inverse, très défavorable.
Comment replacez-vous cette estimation du solde disponible pour le blé tendre en 2023 dans les dix dernières années ?
Oscar Godin : Nous pouvons distinguer plusieurs périodes. De 2010 à 2012, les prix étaient assez hauts. Les soldes étaient donc plus élevés. Cela a commencé à se dégrader en 2013, mais c’est entre 2014 et 2020 où les chiffres étaient plus faibles. Les prix étaient moins élevés, et les charges, contenues. Le solde disponible était compris, à la louche, entre 20 et 40 €/t. Sauf 2016, une très mauvaise année, avec un très faible rendement (5,4 t/ha). Puis est arrivé la période 2021, en reprise post-Covid. Le solde disponible était plus élevé, à 92 €/t, en lien avec des prix de vente en hausse. J’ai expliqué 2022 précédemment, puis la chute en 2023. C’est donc quelque chose que nous n’avons pas vu depuis 2016.
Ce chiffre de 11€/t est lié à la hausse très importante des charges depuis le début de la guerre en Ukraine. Ces charges n’ont jamais été aussi élevées qu’en 2023. La question des rendements rentre clairement en jeu. Si les prix des intrants augmentent, mais que l’agriculteur parvient à atteindre un bon rendement, il y a moins de conséquences sur le coût de production. C’est pour cela que la situation de 2023 est très différente de l’année 2016 : en 2016 le solde est négatif (-22€/t), à cause du faible rendement. En 2023, le solde est très faible, car même avec un rendement correct (7.4 t/ha), les charges sont tellement élevées que le coût de production a augmenté. En 2022, le solde est effectivement historique, car les prix de vente atteignent 285€/t, chiffre rarement atteint dans l’histoire des cours du blé.
Cette tendance a-t-elle vocation a être durable dans les prochaines années ?
Oscar Godin : C’est difficile à dire car il y a beaucoup d’éléments qui vont jouer dans la construction du solde comme défini par l’OFPM : cela dépend du niveau de prix des intrants, du niveau de prix de vente du blé, et du rendement qui va plus ou moins affecter le coût de production. Pour 2024, le résultat ne devrait pas être bon compte tenu du faible rendement en blé tendre, en raison des mauvaises conditions climatiques (6,4 t/ha selon les prévisions d’Arvalis) conjuguées à des charges qui ont un peu diminué, notamment en raison d’une baisse du prix des engrais, mais qui restent plus élevées que par le passé compte tenu de l’inflation. Le prix de vente est plus élevé que ce que nous avons connu dans les années 2013 à 2020, mais cela risque de ne pas suffire pour contrer le mauvais rendement. Il est cependant certain que nous n’aurons pas le même phénomène d’effet ciseaux.