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Carte Adonis : « L’IFT est un indicateur cohérent, au contraire de HRI1 » (Aurélien Chayre, Solagro)

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L’association a annoncé, le 19 novembre 2024, la mise à jour de sa carte Adonis, mesurant l’intensité d’usage des pesticides en France par commune, grâce au calcul de l’IFT. Parmi les nouveautés apportées, l’intégration de la campagne agricole 2022, ou encore la prise en compte des territoires ultramarins.

Aurélien Chayre, chargé de projets Agroécologie et biodiversité chez Solagro - © D.R.
Aurélien Chayre, chargé de projets Agroécologie et biodiversité chez Solagro - © D.R.

Solagro vient d’annoncer la mise à jour de sa carte Adonis, recensant les fréquences de traitement des pesticides en France. Quels sont les changements et ajouts apportés par cette mise à jour ?

Adonis est un projet que nous avons commencé en 2022, sur la base des pratiques de 2020, les plus récentes à l’époque. Il y a toujours deux ans de décalage entre les enquêtes statistiques nationales et leur mise à disposition. L’objectif est d’avoir une base de données la plus récente possible pour un suivi à l’échelle de la commune dans la perspective du plan Écophyto, qui engage la France à diviser par deux l’utilisation de pesticides d’ici à 2030.

Ce qu’il y a de nouveau, c’est donc que nous intégrons la campagne de culture de 2022. Lorsque nous faisons une mise à jour, nous calculons l’indice d’utilisation des pesticides sur chaque commune, et nous regardons l’évolution de la fréquence de traitement moyenne. Maintenant que nous avons un millésime supplémentaire, nous pouvons suivre les grandes tendances, à mettre en parallèle avec les ventes de pesticides : va-t-on vers une baisse d’utilisation de produits phytopharmaceutiques ou non ?

L’autre nouveauté, c’est que nous avons introduit les départements et régions d’outre-mer que sont la Réunion, la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et Mayotte.

Comment récoltez-vous les données nécessaires pour le calcul de l’indice de fréquence de traitement (IFT) ?

Notre principale source de données est le registre parcellaire graphique (RPG). Ce sont les données déclarées chaque année par les agriculteurs pour obtenir des subventions de la PAC. Toutes les surfaces ne sont pas dans le RPG, car tous les agriculteurs ne déclarent pas à la PAC, même si 90 % des surfaces sont concernées. Nous complétons donc avec d’autres données, émanant d’autres sources : le casier viticole informatisé des douanes, le recensement agricole ou la statistique agricole annuelle.

Nous croisons ces différentes sources de données, qui nous permettent de connaître assez précisément les surfaces cultivées sur chaque commune. Ensuite, nous recoupons ces données avec des enquêtes réalisées par les services de l’État, qui calculent des IFT moyens par culture. Nous savons ainsi ce qui est cultivé sur chaque commune, et la fréquence moyenne d’utilisation des pesticides par culture.

Par exemple, sur une prairie, il n’y a pas ou peu de traitement. Sur les céréales, il y a des traitements qui peuvent varier de deux à cinq IFT. Il y a des cultures beaucoup plus traitées, comme la pomme, la pomme de terre, la betterave, qui peuvent aller jusqu’à 26 IFT. Nous dissocions aussi les pratiques de l’agriculture bio de celles de l’agriculture conventionnelle.

Pourquoi avoir choisi d’utiliser l’IFT pour mesurer l’utilisation des pesticides alors que la stratégie Écophyto a opté pour le HRI1, après avoir longtemps privilégié le Nodu ?

Nous avons opté pour l’IFT, car il émane d’un important travail d’enquête sur les pratiques culturales réalisé par le ministère de l’Agriculture, qui produit des statistiques sur les IFT moyens par culture dans le cadre du plan Écophyto. L’approche « IFT territoriale » d’Adonis est comparable à l’indice du Nodu. Ce qui les différencie, c’est d’abord la source de données, entre les données statistiques pour les IFT et les données de ventes de produit pour le Nodu, mais aussi les doses de référence utilisées dans le calcul et le fait que nous dispositions de l’IFT par culture, ce qui n’est pas le cas pour le Nodu.

L’IFT est un indicateur qui parle aux agriculteurs, or notre objectif est justement de produire des références mises à disposition des agriculteurs, à des collectivités ou des chercheurs, de manière à accélérer la transition vers des pratiques agroécologiques ou biologiques. C’est un indicateur cohérent, au contraire de HRI1.

Le HRI1 pondère les quantités de produits phytosanitaires utilisées par un coefficient de pondération liée à la dangerosité du produit concerné. L’IFT prend-il en compte ce facteur dans son calcul ?

En soi, l’IFT prend en compte la toxicité du produit, car il rapporte les doses utilisées par rapport à une dose homologuée. Cette dose homologuée intègre une notion de risque propre à chaque molécule. Un IFT élevé veut donc dire qu’il existe un risque de contamination plus élevé. Maintenant, chaque molécule a un impact différent et l’IFT ne le dit pas directement. Deux communes peuvent avoir un IFT identique, mais avec des molécules utilisées différentes et dont la toxicité, la persistance dans l’environnement, la solubilité dans l’eau sont différentes.

Quelles sont les principales conclusions apportées par la dernière mise à jour de la carte Adonis ?

Les ventes ne diminuent pas, elles ont plutôt tendance à augmenter. De 2009 à aujourd’hui, il y a +3 % de produits vendus. Nous avons commencé le projet en 2020 et, à ce moment, l’IFT global de la ferme France était à 2,36. En 2022, il est à 2,37. Il n’y a donc pas de tendance à la baisse, et pas d’évolution majeure dans les surfaces cultivées. Dans certaines régions, il y a même une augmentation des cultures traitées. Dans d’autres, elles sont en diminution.

Les mises à jour intègrent les dernières enquêtes réalisées sur les grandes cultures, qui montrent qu’il n’y a pas de baisse de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. C’est un constat d’échec. L’un des leviers majeurs pour faire baisser l’utilisation de pesticides est l’augmentation des surfaces cultivées en bio. Sur cette période 2020-2022, il y a plutôt une légère tendance à l’augmentation des surfaces cultivées en bio, mais trop légère pour voir une baisse d’utilisation des pesticides. Lorsque nous rajouterons les données de 2023 et 2024, nous intègrerons, malheureusement, une période avec des déconversions des agriculteurs bio. Cela n’arrangera rien.

Quels sont les autres leviers pour encourager la baisse de l’utilisation des produits phytosanitaires ?

Le premier restera l’agriculture biologique, dont l’un des principes est d’arriver à réduire l’utilisation des pesticides et de s’en passer totalement pour la plupart des cultures. Il faut favoriser la régulation biologique naturelle des bioagresseurs. Les produits de biocontrôle sont un autre levier, visualisable sur la carte Adonis. Il y a aussi la diversification des cultures, principe lui aussi mis en œuvre dans l’agriculture biologique.

Sur certains territoires, les surfaces fourragères, notamment des prairies permanentes, pas ou très peu traitées, sont en diminution et, à l’inverse, des cultures fortement traitées (betterave, colza, blé) sont en augmentation. Sur des territoires diversifiés, le recul de ces cultures peu traitées au profit de ces cultures fortement traitées augmente les IFT moyens. Il faut développer l’agriculture biologique, éviter la spécialisation des territoires et introduire des cultures qui peuvent se passer de pesticides dans les assolements.

Solagro estime à 18 millions d’IFT pour le soja brésilien importé en France, « soit trois fois plus que les productions françaises d’orge, de colza ou de vin ». Comment êtes-vous parvenu à ce résultat, portant sur une culture produite hors des frontières nationales ?

Ces données viennent d’une autre étude toujours en cours, « Transfood », dont nous publierons des résultats prochainement. Dans cette étude, nous regardons l’impact de nos consommations alimentaires sur l’environnement. Pour produire un kilo de viande en France, nous avons regardé de combien de tourteaux de soja nous avions besoin. Quand on fait la somme de tout le tourteau de soja dont on a besoin pour produire les animaux que nous avons en France, on arrive à une certaine quantité.

Ensuite, nous sommes allés dans la bibliographie de différents travaux au Brésil afin de regarder les produits utilisés. Nous avons estimé l’IFT que cela donnerait avec les doses homologuées européennes, pour pouvoir le comparer à ce que nous avons en France. Nous arrivons donc à ce chiffre de 18 millions d’IFT pour le soja, qui en fait l’une des cultures qui consomment le plus de pesticides, derrière le blé, pour nos productions françaises.