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Le combat France/Russie sur le ring de l’export

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Pour sa quatrième édition, le Paris Grain Day a réuni 250 professionnels du commerce du grain le 31 janvier à Paris. Participants comme experts des tables rondes s’accordent à dire qu'en blé, les pays de la mer Noire restent les principaux concurrents de la France. Mais comme en témoigne cette campagne de commercialisation, la France a les capacités d’être compétitive face à l’origine russe, et ce, malgré les grèves qui ont engendré une hausse des coûts logistiques. Distribution des points forts et points faibles de chaque pays dans ce match de l’export.

Coûts de production : Russie 1 - 0 France

Les pays de la mer Noire devancent largement les principaux exportateurs de blé mondiaux au niveau de la rentabilité des fermes. Dmitry Rylko, le directeur général de Ikar, la principale agence de consulting et d’analyse des marchés agricoles en Russie, a présenté les résultats de leur benchmark comparant les marges et investissements de la production de blé de différents pays. Les investissements des fermes russes avoisinent les 600 $/ha, pour un chiffre d’affaires de 800 $/ha. À titre de comparaison, le retour sur investissement des exploitations françaises retenues dans l’étude s’élève à environ 1600 $/ha, quand le chiffre d’affaires, lui, n’est que de 1100 $/ha. Dans l’étude, seules la Russie, l’Ukraine et l’Australie dégagent un bénéfice, contrairement à la France, l’Allemagne, le Canada et les États-Unis. « Les autres pays n’ont pas l’équilibre financier de nos exploitations, ce qui nous met en position de force », déclare Dmitry Rylko.

Potentiel de croissance : Russie 2-0 France

En plus d’être déjà performante sur le plan économique, la Russie pourrait, dans les prochaines années, encore davantage gagner en performance, notamment en augmentant sa capacité de production. Le pays dispose de millions d’hectares non cultivés, mais qui pourraient l’être avec le réchauffement de la planète. « En nominal, le potentiel est énorme, confirme Dmitry Rylko. Mais 95 % de la marge de progression de la production russe se trouve dans l’amélioration de la productivité, plutôt que dans l’expansion. Les meilleures exploitations produisent à ce jour entre 75 et 80 q/ha, le tout avec un bon modèle économique. Et cela ne risque pas de s’arrêter. Il existe un potentiel de développement des surfaces dans le sud, mais il sera limité, sauf si nous recevons de considérables aides de la part du Gouvernement russe pour améliorer le transport. »

Logistique : Russie 2-1 France

Face à ce géant, la France dispose toutefois d’atouts non négligeables, dont la logistique. « La France n’est pas l’entonnoir qu’est la Russie, grâce à notre quinzaine de ports maritimes. Les prix Fob Russie sont encore de 12$/t. En France pour ce montant, vous couvrez le transport depuis le départ ferme et les coûts de fobbing. De plus, nous avons une organisation souple, disponible. Nous sommes flexibles et capables de faire un bateau avec plusieurs espèces  », estime Jean-Philippe Everling, directeur général de la société de trading Transgrain.

Qualité et sur-mesure : Russie 2-2 France

La France, de par son terroir, offre globalement des céréales de qualité optimale et régulière. Pour Jean-Yves Chow, de la Mizuho Bank, des opportunités existent pour l’Hexagone, bien au-delà du bassin méditerranéen, en Asie du Sud-Est par exemple : Indonésie, Philippines, Vietnam. « Les gros acheteurs se fournissent auprès des multinationales car c’est plus simple. En revanche, ces grands groupes se développent dans la transformation, comme la meunerie ou l’industrie agro-alimentaire. Et dans ce cas, la qualité et la spécialité française peuvent les intéresser dans leur démarche de filière. La France peut jouer la carte de la valeur ajoutée. Prendre position au plus tôt, c’est investir pour demain », considère l’expert. Cet avis, Jean-Philippe Everling ne le partage pas complètement : « Pourquoi traverser les mers quand, en face de chez nous, nous avons presque 8 Mt d’export potentiel ? Nous bénéficions d’une proximité géographique et relationnelle avec l’Afrique du Nord qu’il vaut mieux sécuriser. »
Plus qu’un match nul entre la France et la Russie, c’est avant tout une différence de stratégie qui s’illustre dans ce combat. A voir sur le long terme, laquelle sera la plus payante.