Renouveler le contrat entre l’animal et l’homme
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Comprendre l’évolution de la consommation de viande permet de mieux explorer les liens entre l’homme et les animaux. Tel a été l’un des temps forts du colloque du CIV-Viande, Sciences et Société organisé le 31 mai 2016 à Paris sur le thème : Animal, viande et société, des liens qui s’effilochent. Bruno Laurioux, médiéviste, professeur à l’université de François-Rabelais, explique qu’au Moyen-Âge, les allemands vivant dans les cités consommaient 500 grammes de viande par jour en moyenne ! La viande était signe de force. Les animaux abattus devant les échoppes, à la vue de tous, faisaient partie du quotidien. D’ailleurs à l’époque ce mot, « abattage », n’était réservé que pour le bois, pas pour la viande, qu’on appelait d’ailleurs chair. Le 18e siècle a marqué un tournant. Un courant d’idée a émergé afin d’isoler en dehors des villes l’acte de tuer l’animal, pour des raisons sanitaires mais aussi pour cacher ces « scènes de tueries », comme l’explique Jean Reynaud dans L’encyclopédie nouvelle sous le titre explicite : « Eloigner le sang, éloigner la mort ». Depuis, la liste des intermédiaires entre le producteur et la barquette de viande sous cellophane ne fait que brouiller le message et masque la vocation première de l’élevage : nourrir les hommes.
Vers une « pathologisation » du normal
Pour autant, Bruno Hérault, chef du centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture, estime que la crise actuelle de la viande est plutôt un problème qui a commencé voici 20 ans et qui s’achèvera dans même pas de temps. « Dans une société rurale, manger de la viande est un signe de richesse ; dans une société urbaine, c’est signe de pauvreté, commente-t-il. On est dans une société où, plus on mange bien plus les consommateurs estiment que le risque est grand ». Pour lui, le lien entre la société et le consommateur ne s’effiloche pas. Il voit plutôt une « pathologisation » de ce qui est normal. Il estime qu’il n’y a pas de coupable à désigner mais des interactions entre individus sur fond de changement de société. « C’est la demande qui commande », complète-il.
Entre deux utopies extrêmes, trouver le bon contrat avec les animaux
Le philosophe Francis Wolff rappelle que les courants de pensée naissent dans les universités américaines puis essaiment sur la planète. Ces nouvelles idéologies ramènent toujours à la place de l’homme sur terre. Deux utopies montent actuellement en puissance : celle du post-humanisme, qui tend à dépasser la condition de l’homme grâce à la machine pour finalement s’élever au statut de surhomme, de dieu en quelque sorte ; celle du spécisme qui prône l’égalité entre l’homme et l’animal et considère l’élevage comme de l’esclavage. Une théorie dont se revendique l’ONG L214. Les deux courants feraient évoluer la société en accordant un droit aux robots ou un droit aux animaux ! Pour le philosophe, le bon sens se place dans le renouvellement des contrats que les hommes ont avec les animaux. En leur accordant plus de bien-être, en les élevant dans des conditions qui les respectent : « En créant autant de contrats qu’il existe d’histoires entre l’homme et l’animal. » Lucille Boisseau-Sowinski, maître de conférence en droit privé à l’Université de Limoges, a rappelé qu’il faudrait créer un statut à part dans le code pénal pour les animaux. Même si le code pénal a été modifié en février 2015 et les considère comme des êtres vivants doués de sensibilité, ils restent soumis au régime des biens corporels.