Référence agro

Bien-être animal en Europe : l’Ifip analyse la situation allemande

Le | Environnement-agroecologie

L’Ifip-institut du porc mène une étude sur les controverses liées à l’élevage dans quatre pays de l’Union européenne : Allemagne, Pays-Bas, Espagne et Italie. Elle concerne toutes les filières animales. Lancée en septembre 2014, elle bénéficie d’un financement Casdar du ministère de l’Agriculture. La partie sur l’Allemagne est finalisée : points de débat, attitude de la société, réaction des agriculteurs. Dans un contexte de crise économique de l’élevage, analyse avec Christine Roguet, chef de projet à l’Ifip. Référence environnement : L’Allemagne a connu une révolution verte à partir de 2010. Pour quelles raisons ? Christine Roguet : Les productions animales ont fortement augmenté entre 2000 et 2010 : + 30 % en porc, + 76 % en volaille de chair, + 13 % en lait. Dans certains Länder, la dynamique observée a été comparable à celle de la Bretagne des années 80-90. Si les citoyens allemands étaient sensibles aux conditions d’élevage, leurs voix étaient peu écoutées par le ministère de l’Agriculture et les organisations agricoles, portés par le succès économique des filières animales. Mais, entre 2010 et 2012, les Verts ont fait de l’élevage leur thème de campagne et remporté de nombreux succès électoraux. Six Länder ont aujourd’hui un ministre de l’Agriculture écologiste. Opposants déterminés à l’industrialisation de l’élevage, ils ont fait voter des réglementations qui ont contribué à stopper la croissance des productions. Les filières porcines et avicoles sont particulièrement visées. Aujourd’hui, 5 à 9 % des allemands sont végétariens, un marché d’environ 7 millions de consommateurs, en croissance. R.E. : Le 15 juillet 2015, un accord a été signé pour interdire, à partir du 1er août 2016, l’épointage des becs des volailles. Le sujet des mutilations est aussi sur le devant de la scène outre-rhin ? C.R. : Tout-à-fait. Le ministre fédéral de l’Agriculture a fait de l’arrêt des « interventions non curatives » comme la coupe des queues des porcelets, l’épointage des becs de volaille ou l’écornage des bovins, une priorité. L’épointage des becs sera interdit à partir d’août 2016. La coupe des queues des porcs devait aussi être interdite. Mais devant les difficultés pratiques, le délai a été repoussé. En attendant, le ministre de l’Agriculture de Basse-Saxe verse une prime de 16,5 € par porc aux éleveurs qui cessent cette pratique. R.E. : Quels sont les autres points qui interpellent la société ? C.R. : Comme en France, les grands élevages font débat, pour leurs impacts supposés sur l’environnement et le bien-être animal. Pourtant une étude de l’Université de Göttingen conclut à l’absence de liens entre taille d’élevage et bien-être animal. Les associations militent aussi pour des conditions de vie conformes aux besoins des animaux, sans cages, avec plus de surface, un accès à l’air libre… Enfin, l’éthique animale est un sujet très fort. La valeur et la dignité de chaque animal doit être mieux prise en compte. Cela signifie par exemple l’arrêt de l’élimination, pour raisons économiques, des poussins mâles ou des porcelets trop chétifs. Un dispositif de sexage des œufs est ainsi en cours de validation à l’Université de Leipzig. R.E. : Comment la profession agricole réagit-elle ? C.R. : La première réaction a été de communiquer davantage envers le grand public par des portes ouvertes, des campagnes de publicité, les réseaux sociaux… Mais cela ne suffit pas à calmer les oppositions. Face à la menace d’un durcissement de la réglementation, les acteurs des filières porcine et avicole ont choisi de faire évoluer les conditions d’élevage. Deux voix ont été explorées. Tout d’abord, un label «  bien-être » a été créé, avec un cahier des charges très exigeant. Mais le prix trop élevés des produits pour les consommateurs les a cantonnés à une niche. Une initiative collective de branche a alors été lancée. Le cahier des charges de l’Initiative Tierwohl est à la carte. L’éleveur choisit les critères qu’il souhaite mettre en œuvre dans son élevage. Pour chaque critère, il touche un bonus, payé par un fonds alimenté par les distributeurs. Ces derniers prélèvent quelques centimes sur chaque kilo de viande fraîche vendu. En porc, l’initiative rencontre un vif succès : un élevage sur quatre s’est porté candidat. R.E. : Comment la France se positionne-t-elle par rapport aux autres pays européens ? Les crises économiques remettent-elles en question le bien-être animal ? C.R. : Entre la France et l’Allemagne, les normes de bien-être animal sont finalement très proches, alignées sur la réglementation communautaire. Dans un marché libéral et très concurrentiel, s’imposer des normes plus strictes que ses concurrents équivaut à condamner, par les surcoûts générés, une partie de ses producteurs. Le Royaume-Uni ou la Suède ont fait ce choix. Ils importent aujourd’hui respectivement la moitié et le tiers de leur consommation. En Espagne, nos premiers résultats laissent penser que le bien-être animal n’est, pour l’heure, pas une réelle préoccupation sociétale.