« La consommation mondiale d’engrais décélérera à partir de 2025 », Hanna Chtioui, IFA
Le | Nutrition & fertilisation
Hanna Chtioui, Market Analyst à l’International Fertilizer Association (IFA), a présenté un panorama mondial de l’offre et de la demande sur le marché des engrais azotés et phosphatés en 2024, ainsi que des projections sur son évolution à 2028, à l’occasion des 18e Rencontres internationales organisées par l’Afcome, à Lille (Nord), le 8 novembre 2024.
Hanna Chtioui, Market Analyst à l’International Fertilizer Association (IFA), a présenté un panorama mondial de l’offre et de la demande sur le marché des engrais azotés et phosphatés en 2024, ainsi que des projections sur son évolution à 2028, à l’occasion des 18e Rencontres internationales organisées par l’Afcome, à Lille (Nord), le 8 novembre 2024.
« L’environnement géopolitique devient de plus en plus risqué »
- « L’environnement géopolitique devient de plus en plus risqué et l’index de risque géopolitique de la Banque mondiale en témoigne : pour une période allant de 2021 jusqu’à nos jours, l’index a triplé par rapport à celui de 2015-2017. De nouveaux risques importants ont émergé : la guerre en Ukraine, les sanctions contre la Russie, l’escalade du conflit au Moyen-Orient.
- Sur un laps de temps plus réduit, à partir d’octobre 2023, nous constatons que les choses s’améliorent en matière de stabilité. Nous pouvons le voir sur l’évolution de l’index de la production industrielle mondiale, qui ne cesse de croître depuis sa chute, en janvier 2020, due à la crise du Covid. Le ressenti des investisseurs est aussi plutôt positif dans ce contexte géopolitique très risqué : l’index IML de Standard & Poor’s a atteint son niveau le plus haut depuis deux ans et demi en mai dernier. »
« Les prix mondiaux des engrais sont restés globalement stables »
- « L’année 2023 a été marquée par une réorientation massive des flux commerciaux dans le monde. Les flux qui passaient initialement via le canal de Suez ont été massivement réorientés vers le cap de Bonne Espérance, en longeant le continent africain. La part du canal de Suez dans le commerce mondial est passée de 14 % en 2023 à 6 % dans la première moitié de 2024. Le transport des engrais et celui des céréales sont les deux secteurs les plus affectés par la réorientation du trafic.
- Les prix mondiaux des engrais sont restés globalement stables cette année, après le pic qu’ils ont connu lors de l’été 2024, en lien avec la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie. Toutefois, les prix des engrais avaient commencé à croître avant 2022, pendant la Covid.
- La stabilité que nous constatons cette année est essentiellement due à un équilibre entre les facteurs baissiers et haussiers.
- Parmi les facteurs haussiers, on peut noter :
- la baisse des exportations des phosphates transformés, de phosphate de diammonium, de phosphate de monoammonium et d’urée à partir de la Chine, au premier trimestre 2024, même si les exportations ont repris depuis le deuxième trimestre ;
- la hausse des coûts de transport due à la réorientation du trafic mondial ;
- la hausse de l’intérêt des acheteurs pour les engrais potassiques due à la baisse du prix de potasse au cours de cette année.
- Parmi les facteurs baissiers :
- le retour de la production dans les pays sanctionnés, comme la Russie et le Belarus à des niveaux très élevés ;
- la réduction de volatilité des prix du gaz en Europe, ce qui impacte la production des ingrédients azotés en Europe. »
Hausse de la production d’urée, reprise pour les engrais phosphatés
« La production d’urée a augmenté significativement en 2023 pour atteindre 195 Mt, soit une hausse de 6 % vs 2022 (185 Mt). Cette hausse est principalement due à l'augmentation de la production en Asie de l’Est, principalement en Chine, et en Asie du Sud. Malgré la baisse du prix du gaz, les prix ont continué à peser sur la viabilité économique des producteurs européens. Ce qui a fait que pour l'Europe, l’année s’est soldée par une baisse significative de la production d’urée de 1,35 Mt.
Contrairement à l’azote, les deux autres éléments nutritifs (phosphate monoammonique et phosphate diammonique) n’ont pas complètement récupéré, même si la reprise de la production est significative : +3 % vs 2022 (62 Mt) pour atteindre 64 Mt en 2023. En ce qui concerne les engrais phosphatiques, la hausse de la production vient principalement de la Chine. D’autres contributeurs importants à la hausse de la production des engrais phosphatés sont les pays du Golfe, l'Arabie saoudite et la Jordanie. Sur les engrais potassiques, le gros bloc est représenté par le Belarus et la Russie, où la reprise a été très impressionnante malgré les sanctions.
- « Les deux pays qui ont surpris le marché l’année dernière sont la Russie et le Bélarus. Contre toute attente, ils ont exporté des volumes très importants et le rythme de leurs exportations continue de croître :
- Premier constat, la part de l’Europe dans le total des exportations russes de l’Europe reste quasi identique à l’année 2022.
- Deuxième constat, la part de la Chine ne cesse de croître.
- Troisième producteur de potasse au monde, le Belarus a vu les portes du port de Klaipėda, en Lituanie, fermer en 2022 pour ses exportations de potasse. Le pays a réussi massivement à réorienter ses flux vers les ports russes. Selon les sources russes, le volume total des exportations s’élève à peu près à 9,5 Mt. Nous avons réussi à retracer un million de moins, 8,5 Mt, et estimons qu’à peu près 1 Mt reste stocké dans les ports russes. »
« La part des projets d’ammoniaque vert ou bleu est croissante, mais reste minoritaire »
- En matière de contribution à la hausse de production de l’ammoniac (192 Mt en 2023 vs 208 Mt en 2028), l’essentiel des nouvelles capacités devrait venir d’une zone comprenant la Russie, de l'Europe de l’Est et de l'Asie centrale. L'accès aux ressources et le coût de production sont les deux éléments clés de l’augmentation des capacités à moyen terme : la Russie entre parfaitement dans cette case parce que les réserves de gaz sont abondantes et le coût de production est relativement peu élevé ;
- Une autre région qui contribuera à la hausse des capacités sera l'Amérique du Nord, principalement les États-Unis. La hausse s’explique par la hausse des investissements dans la technologie décarbonée dans les deux dernières années avec nouveaux projets qui se sont lancés et devront se concrétiser d’ici à 2028 ;
- Enfin, l'Asie de l’Est. Ici, il s’agit d’un mix de projets, les projets à base de gaz naturel, mais aussi des projets de l’ammoniaque vert.
Sur les cinq prochaines années, les nouvelles capacités d’azote seront à base d'énergies fossiles (charbon, gaz). La part des projets d’ammoniaque vert ou d’ammoniaque bleu est croissante, certes, mais reste minoritaire, à peu près 25 % des nouvelles capacités référencées. Les États-Unis vont dominer l’augmentation des capacités pour l’ammoniac bleu. La Russie reste le leader dans les projets de l’ammoniac conventionnel.
Les capacités de l'acide phosphorique devraient croître d’à peu près 10 % d’ici à 2028. La hausse vient essentiellement des producteurs existants en Afrique. Sans surprise, c’est le Maroc qui a des projets ambitieux dans les cinq prochaines années. Un projet de grande ampleur (Phosphate 3) est également mené par la société saoudienne Ma’aden et devrait entrer en production à la fin de l’année 2026, rajoutant un volume important à la capacité mondiale à horizon 2028.
« Retour de la consommation mondiale des trois engrais confondus, au niveau de 2020 »
« Nous prévoyons le retour de la consommation mondiale des trois engrais confondus, au niveau de 2020, année record en termes de consommation. Les principaux drivers de cette hausse seront les ingrédients azotés et potassiques. Chacun doit apporter à peu près 5,5 Mt à la consommation globale.
- Les principaux moteurs à court terme de la consommation mondiale seront l’Amérique latine et l’Asie de l’Est.
- La reprise de la consommation en Amérique latine, malgré le phénomène de El Nino, est essentiellement due à l’augmentation des surfaces semées et à la hausse de la production agricole.
- La hausse de la consommation en Asie de l’Est, principalement en Chine, est due à la mise en place des subventions pour les trois engrais, qui stimule la consommation.
- Enfin, il y a deux régions où la consommation devrait baisser en 2024 : l’Asie du Sud et l’Europe centrale/de l’Ouest.
- La baisse de la consommation en Asie du Sud est principalement due à la baisse de la consommation des engrais potassiques, au fait que le gouvernement privilégie de subventionner plutôt les engrais azotés et les engrais potassiques au détriment de la potasse.
- Pour l'Europe, cette baisse s’explique par une conjonction de plusieurs facteurs, tout d’abord le facteur météorologique, mais aussi un durcissement de la réglementation sur l’utilisation des engrais, notamment en Allemagne et en Grande-Bretagne. On peut aussi citer la hausse des importations en provenance de l’Ukraine, mais aussi la hausse des surfaces destinées à l’agriculture biologique au détriment des surfaces conventionnelles.
Nous prévoyons que le rythme de la consommation mondiale des engrais décélèrera à partir de 2025. Il y a deux raisons derrière cela : le ralentissement du rythme de la croissance de la population mondiale qui entraîne, à son tour, le ralentissement du rythme de la production indépendante. Le rythme de la consommation des engrais azotés devrait décroître et les engrais potassiques et phosphatiques driveront la consommation à plus long terme. »