« Ne plus opposer engrais organiques, minéraux et biostimulants », Éric Giovale, Unifa
Le | Nutrition & fertilisation
Suite à la présentation par l’Unifa, le 12 juin 2024, du concept de « fertilisation associée », proposant de combiner différentes solutions pour améliorer la fertilité des plantes et optimiser l’utilisation des éléments nutritifs, Éric Giovale, PDG d’Ovinalp et président de la section Fertilisants organo-minéraux et organiques à l’Unifa, répond aux questions de Référence Agro.
Référence agro : L’Unifa a présenté son concept de fertilisation associée, visant à trouver le meilleur équilibre entre les performances agronomique, environnementale et économique des engrais. Comment définiriez-vous cet « engrais du futur » ?
Éric Giovale : Le terme engrais est un terme large. Il évoque à la fois la nutrition des plantes, la santé et la nutrition des sols, au travers des apports de matières organiques, d’une réponse à un problème agronomique particulier, d’accompagnement du végétal dans sa croissance ou dans son rendement, d’optimisation de ce qui est stocké dans le sol ou dans la plante. C’est comme cela qu’on réduira notre empreinte carbone, pas uniquement au travers de la production, mais aussi au travers de l’utilisation, ou encore de l’assimilation des apports d’engrais existants.
Dans le cadre de la fertilisation associée, il n’y a pas d’opposition pour nous, membres de l’Unifa, entre un fertilisant minéral, organique et un biostimulant, les trois étant complémentaires.
Il faut aussi que les agriculteurs et les distributeurs aient une éthique, qui consiste à prescrire et utiliser des produits avec le moins d’impact possible sur l’environnement. On sait qu’on doit produire, mais il ne faut pas utiliser des solutions qui répondent à une attente, celle du prix par exemple, mais qui causera tellement de problèmes que cette fertilisation, à long terme, sera beaucoup plus chère qu’un programme de biostimulation adapté. En dehors du fait qu’il doit être écoresponsable, le produit doit être le moins consommateur de ressources naturelles. Comment fait-on pour en utiliser le moins possible ? En respectant des critères agronomiques. L’utilisation de produits associés à différentes fertilisations permet d’atteindre cet objectif.
L’engrais du futur ne sera pas un couteau suisse qui répondra à toutes les problématiques. Mais nous avons décidé, à l’Unifa, d’utiliser tous les fertilisants dans la mesure où nous en avons besoin, pour aller vers trois optimums : de productivité, économique et de durabilité.
Référence agro : Les biostimulants, réputés plus respectueux de l’environnement, ne sont-ils pas tout de même appelés à jouer un rôle croissant dans le processus de nutrition des végétaux ?
Éric Giovale : Les ingrédients minéraux sont incontournables en grandes cultures. On pourra effectivement réduire leur utilisation, en ayant les mêmes résultats, en ne payant pas plus chers, à condition de changer notre approche, c’est-à-dire qu’on ne doit plus considérer le sol comme un support, mais comme un être vivant qui a la capacité d’influencer la productivité et la qualité de la production. Cela passe par l’utilisation de minéraux pour nourrir la plante, d’organiques pour régénérer les sols, de biostimulants pour stimuler le microbiote des sols, ou optimiser l’assimilation des éléments minéraux, ou même d’amendements minéraux basiques aussi pour jouer sur le pH. Si on améliore cette assimilation, on peut réduire nos apports en éléments minéraux et mettre ce qu’il faut, là où il faut. Les biostimulants sont les produits du futur mais ils ne résoudront pas tous les problèmes.
Référence agro : Quel rôle peut jouer l’intelligence artificielle dans l’utilisation des fertilisants ?
Éric Giovale : Beaucoup d’OAD mis en place aujourd’hui présentent un intérêt majeur. L’intelligence artificielle peut nous aider à optimiser de la ressource. Nous avons un OAD qui s’appelle l’indice de respirabilité biologique et permet, en prenant un échantillon de sol, de vérifier si l’activité microbiologique est faible, moyenne ou forte. Derrière, cela va nous aiguiller sur le type de fertilisation qu’on peut mettre en œuvre.
Ensuite, vous avez toutes les cartographies de données qui permettent de positionner les fertilisants là où c’est nécessaire. Cela fait aussi partie de ce que nous appelons, dans les engrais, la fertilisation associée, avec l’organique, les minéraux, les biostimulants, les amendements minéraux basiques et donc cette intelligence artificielle. C’est ce qui existe aussi en phytos dans le combinatoire avec les OAD qui permettent de faire une cartographie pour appliquer la bonne dose au bon endroit : si vous avez des pucerons dans une parcelle, il vaut mieux les appliquer là où il y en a plutôt que d’en appliquer partout alors qu’il n’y en a pas besoin. C’est du bon sens.
Référence agro : La décarbonation des engrais se heurte à la problématique de les produire sur le territoire national. Êtes-vous confiant dans la capacité de la France à parvenir un niveau d’autonomie suffisamment élevé ou restera-t-elle dépendante d’autres pays ?
Éric Giovale : Pour produire des engrais, il nous faut de l’énergie. Pour produire de l’azote, de l’urée, il nous faut du gaz. Nous n’avons pas de gaz, nous sommes obligés d’en importer ou d’importer de l’urée. Si on produit de l’urée en France, on sera dépendant des importations de gaz. Je pense qu’on ne peut pas améliorer grand-chose, sauf à choisir des engrais qui seront décarbonés et le moins loin possible de nos lieux d’utilisation. Par ailleurs, l’État fait des gros efforts pour aider les entreprises de l’industrie des engrais à maintenir la souveraineté dans le cadre d’un plan de production d’engrais.
Il y a aujourd’hui des moyens déployés par France Relance 2030 sur des solutions permettant d’améliorer la fertilisation, que ce soit la production de biostimulants, de principes actifs qui permettraient de diminuer notre dépendance aux ressources venant de l’extérieur. Nous avons choisi, il y a quelques années, d’arrêter d’extraire de la potasse en France parce que le prix de vente n’était pas au rendez-vous. Remettre ces outils en route serait très compliqué, non pas parce qu’il ne serait pas rentable, mais parce qu’environnementalement, ça gênerait certains lobbies.
Les 82 sites de production de l’Unifa sont très encadrés réglementairement. Ce sont des sites dans lesquels la maîtrise environnementale existe réellement. Quand on importe un produit, on n’a pas cette même maîtrise. Si on accepte ce qu’on ne peut pas produire, il faut que les autres nous envoient des matières qui sont les mêmes que celles que nous produisons. Sinon, nous aurons seulement transféré le problème.