Agrotendances

Engrais : absence de valorisation des pratiques vertueuses sur les marchés exports (FranceAgriMer)

Le | Nutrition & fertilisation

L’étude sur le fonctionnement général du marché des engrais minéraux dans la situation spécifique des filières grandes cultures, commandée par FranceAgriMer, est parue le 24 octobre 2024. Elle vise à mieux comprendre l’organisation et le fonctionnement du marché des engrais azotés, phosphatés et potassiques dans le monde, en UE et en France,

Engrais : absence de valorisation des pratiques vertueuses sur les marchés exports (FranceAgriMer)
Engrais : absence de valorisation des pratiques vertueuses sur les marchés exports (FranceAgriMer)

L’étude sur le fonctionnement général du marché des engrais minéraux dans la situation spécifique des filières grandes cultures, commandée par FranceAgriMer et réalisée par Clément Lepeule, Julien Potier, Rose Cahagne, Violaine Romieu (AND International) et Alexis Dufumier (Ceres Press), est parue le 24 octobre 2024.

Elle vise à mieux comprendre l’organisation et le fonctionnement du marché des engrais azotés, phosphatés et potassiques dans le monde, en UE et en France, en poursuivant trois objectifs principaux :

• un état des lieux du marché des engrais aux échelles mondiale, européenne et française ;

• une base de données permettant de suivre et présenter les principaux éléments explicatifs du marché pour les principaux engrais utilisés et commercialisés aux échelles mondiales, européennes et françaises ;

• deux analyses des AFOM (atouts, faiblesses, opportunités et menaces) du positionnement des acteurs agricoles et industriels français sur le marché des engrais et 11 recommandations visant à améliorer la souveraineté et à réduire les risques encourus par les opérateurs français.

Pour la France, l’étude souligne que la consommation d’engrais subit une baisse continue depuis 2010, plus particulièrement depuis 2021 et 2022 avec la conjonction du contexte inflationniste et des multiples conséquences de la guerre en Ukraine :

• les livraisons d’engrais azotés ont chuté de -26 % entre 2010/2011 et 2022/2023, passant de 2 300 kt équivalent azote à 1 719 kt équivalent azote ;

• les volumes d’engrais phosphatés livrés ont fluctué autour de 435 kt avant de chuter à 346 kteq P2O5 livrées sur la campagne 2021/2022, et à 226 kt au cours de la dernière campagne Unifa, soit une baisse de -55 % entre 2010 et 2022 ;

• les volumes d’engrais potassiques livrés ont fluctué autour de 460 kt avant de chuter à 224 kteq K2O livrées au cours de la dernière campagne Unifa, soit une baisse de -62 % entre 2010/2011 et 2022/2023.

AFOM du secteur de la production d’engrais en France

Atouts

Faiblesses

Approvisionnement en matière première et énergie

• Existence de trois sites de production de ammoniac

• Réseau logistique et industriel bien développé

• Nombreuses unités de seconde transformation

• Dépendance aux importations d’énergie, de produits intermédiaires et d’engrais finis

• Coût de production élevé lié à des prix de l’énergie structurellement élevés en UE et en France

• Accroissement de la dépendance aux approvisionnements extérieurs, notamment en azote

Marché et commercialisation

• France est le 1er marché d’engrais en UE et le 6ème au niveau mondial

• Secteur céréalier structuré

• Demande inélastique en azote

• Réseaux de distribution structurés et performants

• Marché français solvable

• Marché français des engrais azotés en baisse continue depuis 30 ans

• La France représente environ 1 % de la consommation mondiale de azote, phosphore et potasse

• Marché de commodités = marges faibles avec exposition forte aux cours mondiaux et contexte géopolitique (parité €/$…)

• Éclatement de la demande => nombreux flux de petits lots et renchérissement logistique

• Demande élastique en phosphore et potasse

Outil industriel et logistique

• Présence d’opérateurs leaders dans le monde et en UE

• Positionnement géographique et infrastructures portuaires et fluviales permettant l’acheminement de diverses origines d’engrais

• Innovations produits, processus et techniques portés par acteurs de la distribution et de la production

• R&D de pointe dans la chimie

• Usines anciennes positionnées sur AN

• Concurrence avec urée et SOLAZ importée

• En azote, pas de groupe aux capitaux français

• Goulot d’étranglement sur infrastructures portuaires, fret ferroviaire difficile, fret fluvial soumis aux aléas climatiques

• Règlementation strictes

Opportunités

Menaces

Approvisionnement en matière première et énergie

• Décarbonation peut réduire exposition aux cours du gaz naturel

• Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) : opportunité pour les producteurs d’engrais de développer un nouveau secteur de marché avec filières agroalimentaires

• Volatilité des prix des matières premières et énergie

• Risque de concurrence entre différentes technologies production d’ammoniac bas carbone (bleu vs vert)

• Risque concurrence à venir avec nouveaux usages d’ammoniac en amont

• Maintien du prix gaz naturel élevé en Europe vs reste du monde

• Impacts du changement climatiques perturberont la production agricole et pourront affecter la demande en engrais

Marché et commercialisation

• Filières de durabilité avec partage de valeur possible autour des engrais efficaces et ou bas-carbone

• Demande pour des engrais plus efficients et pratiques agronomiques

• Décarbonation des scopes 1 et 3

• Établir des partenariats avec des institutions académiques, des centres de recherche et des entreprises technologiques pour stimuler l’innovation

• Nouveaux partenariats avec entreprises de distribution (négoce et coops) et IAA à construire

• Volatilité des cours accru par le contexte géopolitique

• MACF et décarbonation conduisent à un renchérissement des engrais à MT

• Position exportatrice de grains peut être freinée avec « premiumisation » et décarbonation des engrais UE

• Conditions de concurrence entre engrais « bas carbone » et « conventionnels » non définies

• Potentiel compétition d’usage sur l’ammoniaque bas carbone à MT

Outil industriel et logistique

• R&D pour gagner en efficience en matière de produits (ex : biostimulants fixateurs libres de l’azote, inhibiteurs, uréas…) et recycler le phosphore

• Politique de soutien français à la réindustrialisation

• Écosystème formation et R&D

• Plan hydrogène français

• Optimisation des couts de production

• Acceptabilité très faible de nouveaux projets industriels

• Coût de la transition énergétique pour la production ammoniaque : ammoniaque gris < ammoniaque bleu < ammoniaque vert


AFOM du secteur des grandes cultures en France

Atouts

Faiblesses

Approvisionnement

• Approvisionnement diversifié via l’ouverture aux marchés mondiaux

• Besoin en trésorerie : achat d’engrais couplé à la vente des cultures

• Réseaux de distribution et infrastructures de transport développées

• Consommation se concentre sur quelques semaines

• Arbitrage difficile du prix d’achat

• Éclatement de la demande sur le territoire en volume, forme d’engrais et conditionnement => pas d’économie d’échelle difficile

• Sentiment de manque de transparence sur le marché local des engrais

Agronomie

• Rendements élevés en grandes cultures grâce à l’expertise et savoir-faire des agriculteurs français bénéficiant de connaissances approfondies dans gestion engrais et potentiel pédoclimatique favorable pour la production de céréales à paille

• Élasticité possible de la demande pour phosphore et potasse avec peu de sols en situation de risque de carence et importance de la fertilisation organique dans la couverture de ces besoins

• Valorisation de l’azote dans le rendement et qualité et efficience de l’AN

• Réseaux de R&D et de recherche appliquée développée permettant d’objectiver innovation produit et meilleur compréhension fertilité des sols

• Réseaux de conseil structurés autour des chambres d’agriculture et des distributeurs

• Pas d’élasticité sur l’azote

• Peu d’intérêt technique autour de la fertilisation

• Agriculteurs parfois captifs d’une forme d’engrais (équipement et stockage)

• Décapitalisation en phosphore et potasse et apparition de quelques situations de carences vraies dans certaines zones

• Assolements parfois peu diversifiés et abandons de cultures dans certaines régions

• Utilisation des engrais peut entraîner des problèmes environnementaux tels que la pollution des eaux et la dégradation des sols

Marché et commercialisation

• Performance à l’export

• Logistique fonctionnelle toute l’année

• Savoir-faire des métiers du grain

• Existence de filières grandes cultures différenciées sur le marché national

• Banalisation des produits des grandes cultures à l’exportation

• Peu d’élasticité possible dans les assolements (marchés peu extensibles en légumineuses)

• Inflation impact négativement filières qualités

Opportunités

Menaces

Approvisionnement

• Diversification des sources d’approvisionnement : accès aux urées et solution azotée au meilleur coût et avec des gains d’efficacité possibles (protection de l’engrais, inhibiteurs), engrais de spécialité

• Développement de la méthanisation à la ferme permet d’introduire de nouvelles ressources non agricoles et nouveaux gisements de azote, phosphore et postasse

• R&D à LT pour valoriser de nouveaux gisements (ex : excrétas humains…)

• Risques du grand import : pénuries liées à la logistique et à la concentration de la demande sur des périodes courtes au printemps

• Risques liés à la poursuite de la concentration des producteurs d’engrais en phosphore et potasse notamment

• Baisse tendancielle du cheptel et donc des effluents d’élevage

• Renchérissement du coût lié à la décarbonation/à la protection du marché intérieur

Agronomie

• R&D pour gagner en efficience en matière de pratiques (légumineuses, couvert, vie du sol, mobilisation azote organique…)

• Gains d’efficacité = baisse d’exposition aux marchés des engrais minéraux

• Agriculture de précision

• Filières bas intrants

• Changement climatique impacte productivité et rentabilité surtout en zone sud ayant pour conséquence un retour sur investissement des engrais plus incertain

• Réglementations plus strictes sur usage et formes d’engrais

• Manque de progrès effectifs sur la science de sols et l’efficacité des engrais

• Perte de fertilité biologique et physique des sols

Marché et commercialisation

• Nouvelles valorisations carbone : label bas carbone, stratégies carbones des groupes en amont et aval (scope III)

• Stockage du carbone dans les sols

• Régénération de la fertilité des sols

• Marchés de la biomasse

• Synergies à construire pour valoriser engrais bas carbone dans système de certification déjà existants

• Volatilité des prix des engrais et difficulté à se couvrir du risque de prix

• Inflation et difficulté à « vendre » des filières de transformation de nouveaux produits« qualité »

• Concurrence internationale : le changement climatique favorise la compétitivité de la production de céréales en Russie et donc la compétitivité prix

• Pas de valorisation des pratiques vertueuses sur les marchés exports

• Cout de gestion de nouvelles filières « qualité » (stockage, traçabilité, certification)

• Multiplication labels et démarches peut dégrader valorisation produits finaux surtout dans un contexte inflationniste

• Renchérissement du prix des engrais azotés liés aux conséquences de la mise en œuvre du MACF et de la transition énergétique du secteur des engrais


Les recommandations de FranceAgriMer

1- Accompagner les unités de production d’engrais sur le territoire national dans leur transition bas carbone

• Poursuite des contrats de transition énergétique

• Poursuite des efforts réalisés en matière d’efficacité énergétique par l’amélioration des processus

• Accompagnement des nouveaux projets de production d’engrais à partir d’énergies renouvelables

2- Poursuivre les efforts de recherche et développement en matière d’efficience des engrais et de durabilité du sourcing

• Amélioration de l’efficience des engrais au champ (ex : enrobages à libération contrôlée, inhibiteurs, biostimulants…) et la fertilité globale des sols

• Favoriser l’utilisation d’éléments azote, phosphore et potassium recyclés dans la formulation de nouveaux engrais

• Recherche de nouvelles ressources dans la formulation des engrais (déchets, P recyclé, excrétas humains…)

3- Diversifier les sources d’approvisionnements et renforcement des infrastructures logistiques

• Développement de sources locales d’engrais, y compris les engrais organiques et les biostimulants, pour réduire la dépendance aux importations (ex : poursuite du déploiement de la méthanisation…)

• Développement de coopération avec les producteurs d’engrais européens pour sécuriser les approvisionnements en engrais finis et matières premières

• Renforcement des infrastructures logistiques : places de stockage dans les ports ; investissements dans le fret ferroviaire

4- Renforcer les réseaux de distribution et la mise en place d’outils de gestion du risque prix pour les producteurs de céréales

• Poursuite de la consolidation de la distribution notamment à l’importation (achats groupés et étalés dans le temps et les pays d’origine)

• Mise en place d’outils de gestion du risque prix aux niveaux individuels (assurances récoltes et/ou climatique ; outils contracycliques) et collectifs (caisse de péréquation, fonds de mutualisation…)

5- Amplifier le déploiement de pratiques agricoles et des équipements visant à améliorer l’efficience de l’utilisation des engrais et in fine la réduction des volumes utilisés

• Approfondissement de la recherche en matière de connaissance de la fertilité du sol et d’une meilleure gestion du cycle N

• Poursuite et approfondissement des formations et partage de connaissance en matière de pratiques durables de fertilisation

• Soutien aux équipements et technologies permettant d’optimiser la fertilisation en collectif et individuel

• Définition d’objectifs d’amélioration de l’efficience de la production de céréales en engrais minéraux

6- Soutenir les cultures et filières à bas niveaux d’intrants

• Soutien aux cultures et intercultures fixatrices d’azote

• Poursuite du développement de filières à bas niveau d’intrants

7- Accompagner la filière des grandes cultures dans l’adaptation au changement climatique

• Accompagnement des acteurs de la filière céréalière afin que celles-ci investissent dans des techniques et équipements permettant de gagner en résilience

• Faire lien entre le travail de prospective « adaptation au changement climatique » mené par FranceAgriMer avec la stratégie en matière d’approvisionnement en engrais

• Accompagner particulièrement les filières céréalières des zones les plus vulnérables au changement climatique dans l’analyse des risques et transformation de leur modèle

8- Accompagner les nouvelles valorisations des engrais bas carbone

• Appui à la construction de partenariats sur toute la chaine de valeur agroalimentaire des entreprises d’engrais jusqu’aux acteurs de la distribution alimentaire incluant négoce/coopératives et des industries agroalimentaires (IAA) pour imaginer de nouvelles formes de valorisation des engrais bas carbone

• Réalisation d’un benchmark pour identifier les voies les plus efficaces pour massifier l’intégration des engrais bas carbone dans le marché (inclusion dans HVE, agriculture raisonnée, label bas carbone…).

9- Mettre en cohérence la transition énergétique du secteur des engrais avec l’évolution du modèle agricole céréalier

• Évaluation des couts induits par la transition énergétique du secteur des engrais et les impacts sur la compétitivité et le modèle céréalier français

• Anticiper les conditions de coexistence de plusieurs types d’engrais bas carbone en fonction de leur intensité carbone (ammoniac bleu, vert, gris, rose)

• Réflexion à mener sur la définition de seuils d’efficacité minimale en dessous desquels les engrais ne peuvent être commercialisés en Europe (ex : interdiction urée sans inhibiteur uréase en Allemagne)

10- Accompagner la mise en œuvre du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et l’approvisionnement en engrais bas carbone

• Évaluation objective des surcoûts d’importation d’ammoniaque carbonée et bas carbone

• Anticipation des futures compétitions d’usage sur l’ammoniaque bas carbone entre utilisations à des fins alimentaires (engrais) ou énergétiques

11- Adapter les stratégies de valorisation des céréales à l’export

• Identification des marchés internationaux susceptibles d’être intéressés par des produits céréaliers ou dérivés bas carbone