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Comptabilité environnementale en agriculture, des perspectives et des questions

Le | Decryptage-prospective

Le 24 mai, Agridées et l’Académie d’agriculture de France présentaient une publication commune portant sur la comptabilité socio-environnementale en agriculture. L’occasion d’aborder les questions qui tournent autour de ce concept encore émergeant, incitant à considérer l’environnement comme une donnée beaucoup plus intégrée à l’activité des entreprises.

Jacky Duchâteau (Agridées), ici au premier plan, présente les contours de la comptabilité socio-envi - © D.R.
Jacky Duchâteau (Agridées), ici au premier plan, présente les contours de la comptabilité socio-envi - © D.R.

La comptabilité socio-environnementale, CSE, peut-elle être un outil de transition pour l’agriculture ? Dans un document coédité, Agridées et l’Académie d’agriculture de France (AAF) s’intéressent à cette discipline qui consiste à envisager la comptabilité au-delà du simple spectre financier. L’idée est de considérer l’environnement et l’humain comme capitaux, sources de préoccupations reconnues et à préserver, et non pas comme de simples facteurs de production créateurs de valeur. Ainsi, une entreprise disposerait d’une autre ligne de suivi : d’un côté, les enjeux financiers, de l’autre les enjeux environnementaux et sociaux. « On voit bien l’interprétation que l’on pourrait avoir d’une filière qui présenterait un bénéfice économique de 5 M€, pour une dette environnementale de 10 M€ », illustre Francky Duchâteau, expert chez Agridées.

La CSE, un outil de suivi de l’entreprise

La CSE n’est toutefois pas normalisée pour l’instant. L’environnement relevant du bien commun, dont l’usage reste souvent non réglementé, la plupart des entreprises ne sont pas réellement impactées financièrement. « Actuellement, c’est un outil intéressant pour les dirigeants volontaires souhaitant progresser, précise Francky Duchâteau. Mais il pourrait à terme aussi être associé à des mécanismes publics d’incitation ou de fiscalité. C’est, enfin, un possible vecteur de communication avec les différentes parties prenantes de l’entreprise. » Il rappelle, par exemple, que d’ici à 2024, les banques européennes seront tenues de rendre compte de l’empreinte des projets et structures qu’elles financent. Les assurances, de leur côté, constatent qu’un environnement dégradé augmente les risques pour leurs clients, et s’intéressent donc déjà à ce type d’approche.

Une comptabilité à harmoniser et objectiver

Des dispositifs traduisant l’interaction agriculture-environnement en éléments économiques existent déjà. Les PSE, le Label bas carbone, ou même les primes de filière, en font partie. Des formes de CSE ? « La logique est la même, mais la CSE se veut plus intégrée, répond Francky Duchâteau. Dans le cas d’un PSE, on parle de contrats bilatéraux, où les moyens, finalités, tarifs… sont envisagés dans un cadre précis. Tout comme les éléments de la comptabilité économique sont devenus avec le temps des codes d’analyse largement acceptés, compris et utilisés, la CSE doit être harmonisée pour être source de garanties communément reconnues. » Sous-entendu : éviter les projets s’appuyant sur des indicateurs superficiels, assimilables à du greenwashing.

Convertir l’environnement en euros

C’est d’ailleurs l’un des défix de la CSE : définir les outils et mécaniques qui la composeront, pour caractériser des phénomènes particulièrement complexes. « Réussir la conversion des interactions agriculture-environnement en unité monétaire n’a rien d’évident, même pour une thématique qui s’appuie sur une unité de mesure consensuelle, comme la tonne de carbone pour le climat, reconnaît Francky Duchâteau. C’est encore plus compliqué pour la biodiversité. » Jean-Marie Séronie, de l’AAF, ajoute un élément : « Malheureusement, on démontre toujours plus facilement les dégâts que les aménités positives. » Il faut donc veiller à ce que la CSE couvre tout, et ne devienne pas littéralement à charge pour l’agriculture.

Une dynamique à construire

Compte tenu des défis à relever, un outil tel que la CSE peut-il devenir la norme ? Et à quel horizon ? «  Difficile de donner des échéances, admet Francky Duchâteau. L’esprit de la CSE est dans l’air du temps, mais son adoption sera progressive. On peut imaginer qu’il y aura des structures pionnières, des incitations qui deviendront la norme et concerneront de plus en plus de structures avec le temps, comme c’est le cas pour la RSE. » Pour l’heure, la CSE reste une discipline en friche. Le document présenté par Agridées et l’AAF le 24 mai ne vise d’ailleurs pas à en déterminer les contours, mais se veut plutôt un préalable. « Nous avons construit un état des lieux, identifié les controverses existantes et livré des recommandations générales à destination des sphères politique et agricole pour anticiper et préparer l’émergence de la CSE, mais beaucoup reste à faire », situe Jean-Marie Séronie.