Le Green Deal et la Pac engendreraient des baisses de rendement de 5 à 15 % d’ici à 2030
Le | Decryptage-prospective
Le secteur agricole attendait vivement une étude d’impact concernant la mise en œuvre du Green Deal et de la Pac post-2023. Un rapport, publié dans le courant de l’été, par le Centre commun de recherche, rattaché à la Commission européenne, apporte de premiers éléments de réponse, positifs pour l’environnement, mais inquiétants pour la santé économique du secteur agricole européen. Si les auteurs appellent à la prudence dans l’interprétation de leurs conclusions, de nombreux acteurs du monde agricole s’en inquiètent.
« Pour les agriculteurs européens, c’est une capitulation. » Lors de la conférence de rentrée de la FNSEA le 2 août, sa présidente Christiane Lambert n’a pas caché son exaspération. En cause ? Une étude, publiée fin juillet par le Centre Commun de recherche (JRC), organe scientifique de la Commission européenne, portant sur l’impact du Green Deal, et plus particulièrement les stratégies Biodiversité, Farm to Fork, ainsi que la Pac post 2023, sur le secteur agricole à l’horizon 2030. Les modélisations, réalisées avec l’outil Capri*, reposent sur quatre paramètres-clés issus de ces feuilles de route :
- l’ambition de réduire de 50 % l’utilisation de produits phytosanitaires ;
- l’objectif de diminuer l’utilisation d’engrais d’au moins 20 % en 2030, ainsi que la perte de nutriments d’au moins 50 % ;
- avoir au moins 25 % de la SAU européenne convertis à l’agriculture biologique ;
- consacrer au moins 10 % de la SAU à des éléments non productifs.
Des baisses de rendement entre 5 et 15 % selon les filières
Selon le document, ces feuilles de route auraient un impact significatif sur la préservation de l’environnement et de la biodiversité, avec une réduction de 28,4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur agricole (mais la moitié pourrait néanmoins être basculé dans le bilan de pays tiers). Mais le prix à payer serait lourd. Selon le scénario combinant les effets du Green Deal à ceux d’une Pac ambitieuse sur le plan environnemental (25 % d’éco-régimes et 30 % du second pilier dédié aux mesures agroenvironnementales), des rendements en retrait de 13 % pour les céréales, 12 % pour les oléagineux et de 7 % pour les légumes et cultures pérennes seraient à prévoir. L’élevage bovin serait aussi durement touché, avec des baisses de cheptel de 10 % en lait et 17 % en allaitant.
Les exportations et les revenus agricoles menacés
Dans le cas du scénario prenant en compte la Pac actuelle, donc moins ambitieuse sur le plan environnemental, des conséquences seraient également à prévoir. « Les secteurs des céréales et des oléagineux sont impactés négativement, la superficie céréalière (-4 %) et les rendements céréaliers (-11 %) diminuent dans l’UE, entraînant une baisse de 15 % de l’offre. »
Résultat : la position d’exportateur de l’Union européenne pourrait être affaiblie, pour les céréales, la viande porcine et la viande de volaille, et une aggravation du déficit commercial pour les oléagineux, les fruits et légumes, la viande bovine et la viande ovine et caprine seraient à prévoir. Les prix à la production augmenteraient, quant à eux, de 10 %, ce qui tirerait vers le bas le revenu des agriculteurs.
Les auteurs nuancent leur propos…
Néanmoins, dès le préambule, et tout au long du document, les auteurs du rapport insistent sur la nuance à apporter à leurs conclusions. « Le rapport ne constitue pas une évaluation d’impact des stratégies en tant que telles ; la portée de la modélisation n’inclut pas toutes les mesures des stratégies (par exemple, les objectifs de réduction du gaspillage alimentaire, le plan d’action bio, etc) qui modifieraient les impacts signalés. D’autres approches et outils analytiques sont nécessaires pour parvenir à une analyse plus complète des impacts potentiels de cette transition. »
… mais le secteur agricole s’enflamme
Des précautions qui ne passent pas vraiment au sein du secteur agricole, tout comme la date de publication choisie, au milieu de l’été. « Rarement on aura vu un rapport se donner tant de mal pour éviter de dire ce qu’il a à dire : quel que soit le scénario envisagé, l’impact de ces stratégies sera une réduction sans précédent de la capacité de production de l’UE et du revenu des agriculteurs européens », fustige ainsi le Copa-Cogeca dans un communiqué de presse diffusé début août. Un point de vue partagée par la Coordination rurale, qui a également vivement réagi suite à la publication de ce rapport. « Si ces résultats ne sont donc pas à regarder comme des indicateurs bruts des impacts potentiels, les tendances présentées sont à la fois précieuses et inquiétantes. Précieuses parce qu’elles proviennent enfin d’une source européenne, et inquiétantes parce qu’elles mettent en avant une baisse des rendements et des cheptels, ainsi qu’une hausse de la dépendance de l’Union européenne aux importations. »
*Capri : Common Agricultural Policy Regionalised Impact analysis