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Pesticides, « l’économie se porterait mieux si elle était du côté de la préservation de la santé », Alain Payan, président d’Unalis Mutuelles et de Tutélaire

Le | Environnement-agroecologie

Après la parution, le 29 janvier 2024, d’une tribune (« Tirons du drame de l’amiante des leçons pour l’avenir ») rédigée par un collectif de quarante responsables de mutuelles de santé, Alain Payan, co-signataire et président d’Unalis Mutuelles et de Tutélaire, revient sur les origines de cette prise de parole inhabituelle pour dénoncer l’inaction des pouvoirs publics sur le sujet des pesticides.

Après la parution d’une tribune par quarante responsables de mutuelles de santé, Alain Payan revient - © D.R.
Après la parution d’une tribune par quarante responsables de mutuelles de santé, Alain Payan revient - © D.R.

Référence Agro : Vous avez signé, fin janvier 2024, une tribune dans le journal Le Monde, afin d’alerter les pouvoirs publics et la population sur les risques liés aux pesticides. Pourquoi avoir choisi de prendre la parole, et pourquoi sur ce sujet en particulier ?

Alain Payan : Nous avons cette légitimité, en tant que mutuelles, à porter notre voix dans le débat, notamment quand il s’agit de prévention de santé publique : dans notre objectif de favoriser le « bien vieillir », c’est « bien vieillir » en bonne santé. Or nous constatons la prolifération, à des vitesses incroyables, de maladies comme les cancers, et sur des populations diverses, notamment les enfants. Nous ne sommes pas des spécialistes, mais il suffit de s’appuyer sur les constats faits par la communauté scientifique pour en conclure à l’influence des pesticides. Ce n’est pas un sujet qui doit faire débat mais un consensus parmi les mutuelles, nous ne pouvons rester indifférents. D’ailleurs, lorsque nous discutons de cette thématique avec une autre mutuelle, il n’y a absolument pas de rejet. En tant qu’entreprises à but non lucratif, nous avons cette latitude pour prendre ce genre de position, qui est aussi ce pour quoi nous avons été créées. Grâce à notre influence « par le haut », auprès de l’État, et « par le bas », en mobilisant notre force militante, nous pouvons être la courroie de transmission sur des sujets qui nous tiennent à cœur, comme les pesticides, qui s’inscrivent dans notre raison d’être et notre mission.

R.A. : Dans cette tribune, vous dressez un parallèle entre les produits phytosanitaires et l’amiante : quelles similarités décelez-vous entre ces deux cas ?

A.P. : Le cheminement est similaire : la même inertie des pouvoirs publics, les mêmes freins des entreprises. L’alerte des scientifiques n’est pas prise en compte, parce que ce n’est pas l’humain qui est protégé, ce sont les intérêts économiques. Ces points de comparaison se sont faits naturellement, étayés par des spécialistes du sujet. Cette similitude nous incite à nous faire entendre. Il a fallu un siècle pour que l’amiante soit interdite, voulons-nous repartir pour un siècle avant de reconnaître les victimes des pesticides ? Nous ne pourrons pas dire une seconde fois que nous ne savions pas. 

R.A. : Les mutuelles se sont réunies, le 5 février 2024, au cours d’un colloque au Sénat : qu’en est-il ressorti ?

A.P. : Un comité de pilotage s’est créé en amont, à l’automne 2023, sous l’impulsion de la Mutuelle familiale et de Martin Rieussec, président de la Fondation santé environnement, très sensibilisé au sujet des pesticides. Nous sommes proches de la Mutuelle familiale et collaborons régulièrement avec eux. Au début, nous n’étions que quatre ou cinq mutuelles, d’autres nous ont rejoints depuis, si bien qu’une vingtaine était présente au Sénat. Elles représentaient trois millions d’adhérents, ce n’est pas rien ! Le colloque a permis de remettre à niveau tout le monde : nous avions tous une vision plus ou moins étayée mais, indépendamment des témoignages des victimes, les informations émanant des scientifiques ont mis en exergue l’état actuel des connaissances et des risques. Des représentants de l’État ont eu le courage de venir défendre leur position, même si nous sentions bien qu’ils étaient très mal à l’aise… Enfin, le colloque a permis un moment de fédération, par une déclaration d’intention sur le fait qu’il fallait maintenant passer à l’action.

R.A. : Plusieurs revendications ont été communiquées à la suite de ce rassemblement. Avez-vous l’impression d’avoir été entendu par le gouvernement ?

A.P. : Ce n’est qu’une première démarche, il y a sans doute d’autres revendications à promouvoir. Toujours est-il que cette journée a permis de se jauger et il y a désormais une détermination parmi les mutuelles à ne pas laisser cette journée sans lendemain. Nous avons demandé à rencontrer les services du Premier ministre mais, à ma connaissance, nous n’avons pas de réponse de la part du gouvernement. Le colloque a été pratiquement concomitant des annonces de Gabriel Attal (le 1er février, N.D.L.R.). C’est un hasard du calendrier qui, quelque part, nous donne un peu raison : nous ne pouvons pas sacrifier la vie des gens au regard de considérations purement économiques. Si nous faisons le bilan du traitement des maladies par rapport aux financements d’une autre agriculture, l’économie se porterait mieux si elle était du côté de la préservation de la santé humaine, en premier celle des agriculteurs mais aussi celle de la population actuelle et future. Nous allons porter notre message à Bruxelles en avril, avec des mutuelles européennes. Nous sommes assez convaincus que les choses vont bouger.