Agrotendances

Règlementation des MFSC : « Ce texte crée encore plus de complexité », Stéphanie Tiprez, AFAÏA

Le | Nutrition & fertilisation

Cet article est référencé dans notre dossier : Biostimulants : prouver l'efficacité

Quelques mois après le lancement du Grand Défi Biocontrôle et Biostimulants, l’AFAÏA apparaît comme l’une des organisations motrices de ce programme national de recherche et d’innovation. Stéphanie Tiprez dresse une première feuille de route du Grand Défi pour Référence agro et revient sur le projet de réglementation des matières fertilisantes et supports de culture, MFSC.

Règlementation des MFSC : « Ce texte crée encore plus de complexité », Stéphanie Tiprez, AFAÏA
Règlementation des MFSC : « Ce texte crée encore plus de complexité », Stéphanie Tiprez, AFAÏA

Référence agro : Comment s’est construit le Grand Défi Biocontrôle et Biostimulants ?

Stéphanie Tiprez : Le Grand Défi Biocontrôle et Biostimulants est un programme de recherche et d’innovation d’une durée de six ans (2024-2029). Il a officiellement été lancé le 01/03/2024 lors du SIA. Il est financé à hauteur de 42 M€ par le programme France 2030, ainsi que 18 M€ par le secteur privé. L’Abba, créée pour l’occasion en juin 2023, est chargée de son animation.

Cette association regroupe actuellement 129 acteurs privés et publics de l’ensemble de la chaîne de valeur des biostimulants et des produits de biocontrôle : des industriels, des structures de la recherche et de l’enseignement, des instituts techniques agricoles, des représentants des consommateurs et des citoyens, des entreprises du numérique, des prestataires de l’expérimentation, des pôles de compétitivité. AFAÏA a été l’une des quatre structures impliquées dans les premières discussions avec le MASA en charge du pilotage du Grand Défi, au côté de l’Acta, Alliance Biocontrôle et l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Nous devions mettre en place une structure capable de gérer et de répondre aux enjeux de ce Grand Défi, notamment :

déployer des solutions de biocontrôle et de biostimulation et de nouveaux systèmes de production agroécologique durables d’un point de vue économique, environnemental et social ;

stimuler des travaux de recherche présentant des niveaux de maturité élevés pour aboutir plus rapidement à la mise sur le marché d’innovations.

Depuis, AFAÏA continue de s’impliquer dans ce Grand Défi et dans l’association Abba en assurant notamment la co-présidence.

R.A. : Comment se met en œuvre concrètement ce programme ? Quelle est sa feuille de route ?

S.T. : Le Grand Défi s’articule autour des trois axes :

    • Axe 1 : La mise en œuvre d’une animation scientifique, technique et réglementaire et la gestion du Grand Défi, via l’association Abba ;

    • Axe 2 : La mise en place d’un maillage national coordonné, « Infrastructure distribuée », rassemblant des territoires d’innovation et de démonstration : fermes pilotes, réseaux d’expérimentation, pôles l’innovation ;

    • Axe 3 : Des appels à projet, avec l’objectif de créer de nouvelles structures et activités s’emparant de modèles d’affaires de rupture permettant de rendre disponibles et de déployer les méthodes agroécologiques.

    Le séminaire organisé les 1er et 2 février 2024 a identifié les freins et leviers permettant de transformer et de diversifier les démarches d’innovation afin d’accélérer le développement et le déploiement de ces solutions.

    Des groupes de travail, ouverts à tous, ont été constitués sur la base de la feuille de route concernant les axes 2 et 3, validée par les instances ministérielles. L’objectif est de mobiliser les forces publiques et privées autour de trois types de réseaux :

      • Un réseau de territoires de co-conception et de démonstration de stratégies agroécologiques intégrant les méthodes de biocontrôle et de biostimulation ;

      • Un réseau de sites de recherche et d’innovation organisé pour soutenir l’accélération et la diversification de l’innovation en biocontrôle et biostimulation ;

      • Un réseau de services pour tous les acteurs de l’innovation : expérimentation, accompagnements réglementaire et stratégique de l’innovation.

      • Ces groupes ont vocation à déposer des projets ciblés en vue de la constitution du maillage national coordonné, auprès de l’opérateur financier du Grand Défi, l’ANR, dès l’automne 2024.

      Nous lancerons les appels à projets collaboratifs pour l’axe 3 passé cette étape.

      R.A. : Comment se positionne l’AFAÏA sur le projet de règlementation des MFSC ?

      S.T. Le projet de réglementation encadrant l’innocuité et l’efficacité des matières fertilisantes et les supports de culture dit « Socle Commun » avait pour but de simplifier les réglementations, mettre l’ensemble des filières sur un pied d’égalité au niveau réglementaire et garantir la sécurité environnementale et alimentaire. Nos adhérents sont principalement concernés par les catégories A1 et A2. Elles représentent des produits qui peuvent être mis sur le marché soit au travers d’une AMM ou d’une norme d’application obligatoire, à usage principalement professionnel mais aussi grand public.

      Il existe deux autres catégories, B1 et B2, qui concernent plutôt des produits issus de sous-produits résiduaires et soumis à épandage. Les adhérents d’AFAÏA sont moins concernés par ces catégories. Ce sont plutôt d’autres organisations professionnelles partenaires qui représentent ces secteurs.

      Sur le principe, AFAÏA ne peut que saluer la volonté initiée par ce texte de simplifier tout en garantissant l’innocuité des produits. La qualité des produits fertilisants mis en marché est un engagement permanent de nos adhérents, afin d’en garantir une efficacité et une innocuité optimales. Les fertilisants, proposés par nos adhérents, contribuent à l’atteinte des objectifs de ces règlementations ainsi qu’aux attentes de la société civile.

      Comme l’ensemble des organisations professionnelles, nous avons alerté les autorités sur les difficultés engendrées par le texte actuel proposé. Il s’agit de la troisième version soumise à consultation en octobre 2023. Ce texte crée plus de complexité et ajoute encore plus de réglementation : des prévisions de seuils et de contrôles impossibles à mener pour la plupart des entreprises, hormis les grands groupes, des difficultés d’étiquetage en cas de déclassement de catégorie, une charge administrative supplémentaire pour les PME.

      Nous sommes assez loin de l’objectif de simplification. À ce jour, il y a 93 textes réglementaires en vigueur, d’après le décompte de la DGCCRF. Le socle commun rajouterait sept textes d’application, soit 100 textes applicables au secteur des MFSC, un véritable mille-feuille administratif. L’ensemble de la chaîne de la valorisation des sous-produits est mis en péril. Le risque est de potentiellement priver les agriculteurs français de produits fabriqués en France, avec des matières françaises. Un certain nombre de dispositions posent des problèmes concrets pour nos entreprises :

        • L’identification des seuils les plus restrictifs applicables pour la mise en œuvre des critères d’innocuité ou d’efficacité : il va falloir que les fabricants et metteurs en marché comparent ceux mentionnés dans ces nouveaux textes et ceux des normes d’application obligatoire ou des cahiers des charges ;

        • La méthode à utiliser pour analyser les inertes ou les impuretés : laquelle choisir sachant que certains critères sont différents d’un texte à l’autre ?

        • L’étiquetage produit pour lequel le producteur doit être en conformité 18 ou 36 mois, selon la voie de mise sur le marché, après la date d’entrée en vigueur des décrets. Or aucune période de transition ne semble avoir été prévue pour l’écoulement des stocks produits avant cette date. De plus, certains seuils (le cas des ETM décrits dans le décret innocuité) sont à ce jour inférieurs aux seuils prévus par les normes. Concrètement, il faut laisser aux producteurs le temps de se mettre en conformité, en retravaillant leurs sources d’approvisionnement, leurs process de fabrication et leurs formulations.

          • Retrouvez cette interview dans notre mag en ligne sur les biostimulants