Confusion et complexité, un mélange non autorisé
Par Stéphanie Ayrault | Le | Protection des cultures
Ecophyto, Parsada, séparation conseil/vente, l’année 2024 aura encore placé les produits phytosanitaires sous le feu des projecteurs, ou plutôt des attentes. Alors que les besoins techniques sont forts, notamment pour répondre aux impasses rencontrées sur le terrain, l’actualité législative ajoute de la tension sur un dossier déjà complexe. Les changements répétés de gouvernement freinent les avancées et cristallisent la divergence des intérêts.
Après une « mise à l’arrêt » du gouvernement suite aux manifestations d’agriculteurs, la stratégie Écophyto 2030 est enfin publiée le 6 mai 2024. Poursuivant toujours l’objectif de réduction de 50 % des produits phytosanitaires d’ici la fin de la décennie - par rapport à la période 2015-2017 - cette stratégie change toutefois d’indicateur de suivi : le Nodu, utilisé jusqu’à présent, est remplacé par son homo logue européen, le HRI1.
Cette modification en induit une autre, celle de la méthode de calcul : là où le Nodu calculait le nombre de traitements appliqués, sans distinction de substances, le HRI additionne les quantités vendues en les pondérant par un coefficient de quantification du risque, par rapport à une période de référence (2011-2013). « Nous sommes en cohérence avec le cadre européen, mais cela ne nous empêche pas de travailler avec l’Inrae pour trouver un autre indicateur et répondre aux critiques que nous pouvons entendre », tempère le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée de Marc Fesneau, face aux critiques soulevées par ce changement.
Trouver des solutions en prévision d’une éventuelle interdiction de molécules
La version 2024 de la stratégie Écophyto s’agrémente d’un nouvel outil : le Parsada, pour « Plan d’anticipation du potentiel retrait européen de substances actives et de développement de techniques alternatives pour la protection des cultures ». Ce plan vise à trouver des solutions en prévision d’une éventuelle interdiction de molécules, avec une dotation de 146 millions d’euros destiné aux plans d’action filière et programmes d’actions transversaux. Un appel à projets, piloté par FranceAgriMer, a été lancé le 12 avril 2024 et accessible jusqu’au 31 décembre. Il complète une procédure d’engagement de crédits, qui récolte 106 propositions et deux premières lettres d’engagement (Unilet et Arvalis), signées au mois de mars lors du Salon international de l’Agriculture.
Un appel à manifestation d’intérêt, visant lui aussi à accélérer le déploiement et la massification de solutions alternatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à l’échelle d’un territoire, a quant à lui été ouvert le 16 juillet 2024, pour une fermeture prévue fin novembre. « Il y a une urgence à avancer sur le panel de solutions chimiques et non chimiques pour que la souveraineté alimentaire et la transition écologique aillent de pair », indique le cabinet de Marc Fesneau.
Pas d’interdiction sans solution. C’est dans cette optique qu’Agnès Pannier-Runacher, accompagnée de représentants de l’Inrae, de l’Anses, de l’Acta, de chambres d’agriculture, ainsi que d’organisations professionnelles agricoles, inaugure, le 15 mars 2024, un cycle de réunions hebdomadaires sur les réglementations française et européenne en matière de produits phytosanitaires. Objectif : détecter des situations de dis torsions de concurrence avec les autres États membres de l’UE.
Au 12 juillet 2024, 778 usages supplémentaires étaient identifiés. Parmi eux, 400 étant « d’intérêt fort, voire intermédiaire, et non candidats à la substitution (autre ment dit, ne concernant pas une substance active classée comme CMR 1 ou 2, ou comme perturbateur endocrinien) ». 101 ont alors déjà fait l’objet d’un dossier déposé à l’Anses, en vue d’une reconnaissance mutuelle, d’une extension d’usage ou d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) et 81 feront l’objet d’un dossier déposé par des firmes « à court ou moyen terme », annonce le cabinet de la ministre déléguée. Alors que le remaniement gouvernemental et l’arrivée d’Annie Genevard rue de Varenne laisse un temps planer le doute sur la poursuite du « comité des solutions », la nouvelle ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt annonce, le 13 novembre 2024, la reprise des réunions.
Une proposition de loi pour revenir sur la séparation conseil vente
Outre les cas de surtranspositions, s’il est un sujet qui cristallise les tensions sur le dossier des produits phytosanitaires, c’est bien celui de la séparation entre la vente et le conseil. « Le sujet qui nous met le plus en délicatesse », de l’aveu même de Dominique Chargé, président de La Coopération agricole. Depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2021 dans le cadre de la loi Egalim, nombreuses sont les tentatives de revenir sur cette réglementation controversée, censée garantir l’indépendance et la qualité du conseil délivré aux agriculteurs. La dernière en date est une proposition de loi « visant à libérer la production agricole des entraves normatives », déposée le 1er novembre 2024 par les sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (Union centriste). Dès l’article 1er, la séparation vente/conseil, « une mesure jugée contreproductive dans la mesure où elle prive les agriculteurs du conseil des techniciens des coopératives metteuses en marché sur l’usage de ces produits et où elle rétrécit le vivier de professionnels éligibles au bureau d’une chambre d’agriculture », est pointée du doigt par les deux sénateurs. Qui entendent, par leur proposition de loi, rendre facultatif le conseil stratégique phytosanitaire. Prochaine étape le 17 décembre 2024, pour le débat au Sénat en séance publique