Au Sénat, le monde agricole remonté contre le Mercosur
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« Cet accord est une incohérence politique, alors que nous nous battons pour atteindre les objectifs de nos plans de filière », s’insurge Bruno Dufayet, le 18 juillet, devant le groupe d’études Agriculture et alimentation, rattaché à la commission des affaires économiques du Sénat. Le président de la Fédération nationale bovine (FNB) y était auditionné, avec plusieurs représentants d’autres filières agricoles (1), au sujet de l’accord économique entre l’Union européenne et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay). Si après vingt années de négociations, les deux parties sont tombées d’accord sur un texte, le 28 juin dernier, les filières agricoles françaises n’ont pas tardé à signifier leurs inquiétudes, si ce n’est leur colère, concernant les conditions de cet accord.
Des contingents de 99 000 tonnes de viande bovine, 100 000 tonnes de volailles ou 180 000 tonnes de sucre, à exporter vers l’Union européenne sont ainsi prévus, en même temps que la levée des droits de douane. Le problème, pour les agriculteurs français : les normes de production ne sont pas du tout les mêmes qu’en France. « Le message est incompréhensible pour les agriculteurs français, qui font des efforts tous les jours pour accroître la durabilité de leur production », affirme Marie-Christine Chauvin, sénatrice du Jura et membre du groupe d’études Agriculture et alimentation.
Des pratiques « à l’opposé de ce que nous faisons en France »
Pour Bruno Dufayet, les pratiques agricoles et d’élevage des pays du Mercosur sont « à l’opposé de ce que nous faisons en France, et de ce qui a été défendu lors des États généraux de l’alimentation ». Les élevages de vaches y oscillent entre 30 000 et 50 000 têtes, contre 60 en moyenne en France, les OGM sont utilisés de manière courante dans l’alimentation animale et la traçabilité individuelle des animaux y est inexistante. « L’Union européenne nous dit qu’il y aura des contrôles, mais les normes ne sont pas les mêmes. Il y a eu des affaires de falsification de documents au Brésil », s’inquiète Jean-Michel Schaeffer, président de l’Association nationale interprofessionnelle de la volaille de chair (Anvol). Même inquiétude du côté de la filière sucre. « Avec la fin des quotas, nous sommes déjà en pleine restructuration. L’accord du Mercosur vient se rajouter à cette situation. En plus des 180 000 tonnes accordée au Brésil, 10 000 autres l’ont été au Paraguay. Nous supposons que ce sera du sucre bio. La production française est de 1000 tonnes, et celle européenne de 30 000 tonnes. C’est un vrai coup de canif pour le développement de cette filière », lance Jean-Philippe Garnot, président de l’Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre.
74 % de produits phytosanitaires utilisés au Brésil interdits en Europe
Des situations de distorsions de concurrence découlant également de législations diamétralement opposées. Les hormones sont en effet les seules substances interdites par l’accord trouvé entre les deux entités économiques. 74 % des produits phytosanitaires utilisés au Brésil sont interdits en Europe. « Nous avons réduit de moitié l’utilisation d’antibiotique en six ans, ce qui a nécessité des investissements énormes. Mais ces produits sont autorisés là-bas. Comment allons-nous contrôler cela ? », se désole Jean-Michel Schaeffer. Même son de cloche pour Matthieu Caldumbide, directeur adjoint de l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM). « Les néonicotinoïdes sont largement utilisés en Amérique du Sud. De plus, 89 % des productions sont OGM au Brésil et 97 % en Argentine. »
Symbole de ce mouvement d’opposition aux accords de libre échange, le vote de l’Assemblée nationale sur le Ceta (accord avec le Canada), prévu le mercredi 17 juillet a finalement été reporté au mardi 23 juillet. Si les revendications sont d’ordre similaire, celles-ci portent notamment dans ce cas sur l’emploi de farines animales pour l’alimentation des animaux. Dans tous les cas, en ce qui concerne le Mercosur, rien n’est encore fait. L’accord doit encore être ratifié par les pays membres des deux entités, et être approuvé par le Conseil et le Parlement européens. Selon Cecilia Malmström, la Commissaire européenne au commerce, l’entrée en vigueur de cet accord n’interviendrait pas avant un délai de deux ans minimum.