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Blé : le spectre de la rouille noire resurgit

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Les récoltes de blé en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud seraient menacées par une nouvelle épidémie de rouille des tiges, selon des experts internationaux réunis du 17 au 20 mars à Ciudad Obregón, dans le nord du Mexique, à l’invitation de la Borlaug Global Rust Initiative (BGRI). Pour lutter contre les attaques du champignon, les sélectionneurs tentent de mettre au point des variétés résistantes. J.P.

La rouille des tiges de blé, connue sous les noms de « rouille noire du blé » (Puccinia graminis) ou d’Ug99, est un champignon provoquant des pustules qui brisent l’épiderme de la tige des plantes. Le parasite a été observé pour la première fois sur le continent africain en Ouganda en 1999 (d’où son nom d’Ug99). Il s’est ensuite propagé au Kenya et en Ethiopie en 2003, au Yémen, au Soudan et dans la péninsule arabique en 2007, puis en Iran l’année suivante.

Des simulations montrent que la rouille noire pourrait arriver bientôt dans le Caucase, l’Asie centrale ou l’Afghanistan. Selon l’US Department of Agriculture (USDA), le champignon pourrait toucher le sous-continent indien d’ici deux ou trois ans. Des transporteurs aériens, tels les vents de haute altitude ou les ouragans, feraient également planer une menace réelle sur le continent américain ou l’Australie. La FAO considère les attaques de la rouille noire comme une menace sérieuse : 80 % des blés africains et asiatiques seraient, selon l’organisation mondiale, susceptibles d’être attaqués par la race Ug99.

Mettre en place un système mondial d’alerte

L’agronome et lauréat du prix Nobel de la paix (en 1970), Norman Borlaug a été le premier à tirer la sonnette d’alarme internationale en 2005, lors d’un séjour au Kenya où il avait détecté cette rouille. Dans une déclaration adoptée par la Conférence Internationale sur la rouille des tiges du blé à New Delhi (6-8 novembre 2008), les représentants des principaux pays producteurs de blé se sont engagés à appuyer la prévention et la lutte contre le champignon dans leurs politiques nationales et dans le cadre de la coopération internationale. De nouvelles variétés de blé résistantes à la maladie sont déjà en cours de développement, a précisé à Ciudad Obregón, une équipe du Centre international d’amélioration du maïs et du blé (International Maize and Wheat Improvement Center) basé au Mexique. « Les scientifiques font des progrès rapides, mais n’ayons pas d’illusions : une crise alimentaire à l’échelle planétaire demeure un risque réel si les gouvernements et les institutions internationales ne mettent pas en place un système mondial d’alerte rapide », a déclaré Norman Borlaug, en conclusion de la réunion de Ciudad Obregon.

La FAO collabore à l’évaluation des variétés avec le Centre International de Recherche Agricole dans les Zones Arides (ICARDA) et le Centre International pour l’Amélioration du Maïs et du Blé (CIMMYT) qui pilotent la Borlaug Global Rust Initiative (BGRI). Ce consortium international vise à combattre la diffusion des maladies dues aux rouilles dans le monde. Le Canada, les États-unis et l’Inde en sont les principaux financeurs.

Risques d’attaques minimes en France

L’hypothèse de l’arrivée en France et en Europe de la souche Ug99 n’est pas à exclure même si elle est infime, selon Claude Maumené, responsable du pôle maladies et méthodes de lutte chez Arvalis-Institut du Végétal. « Au travers des fongicides, nous avons des armes efficaces contre ce pathogène, explique-t-il. Mais le transport des grains, les voyageurs ou bien encore des courants aériens exceptionnels pourraient ramener les germes de cette maladie dans notre pays. Il faut donc rester vigilant : une mesure de précaution serait de se préoccuper dès maintenant d’évaluer la résistance du fond génétique de nos variétés françaises ».

En France, les derniers dégâts significatifs dus à la rouille noire datent d’avant la Seconde guerre mondiale et la maladie n’a plus été détectée depuis les années 80, à l’exception de quelques foyers épars dans le Sud-Est. La rouille noire a été éradiquée dans notre pays et dans l’ensemble de l’Europe grâce à la conjonction de plusieurs actions : la destruction méthodique des pieds d’épine-vinette, un hôte indispensable à Puccinia graminis pour son développement et un important programme de sélection de variétés de blé résistantes avec notamment l’introduction du gène Sr31 dans les fonds génétiques. Enfin, la rouille noire est une maladie tardive qui se développe plus particulièrement en fin de cycle chez le blé. Avec nos variétés qui se récoltent de plus en plus précocement, la rouille noire ne trouverait plus les conditions idéales à son développement… même si l’épine-vinette est en train de regagner nos jardins.