Délégation du travail, les ETA avancent sur le conseil global
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Depuis plusieurs années, la délégation du travail évolue en agriculture. Des chercheurs de Toulouse ont compilé les résultats de près de dix ans d’études et d’enquêtes. Alors que le besoin de délégation intégrale de gestion de l’exploitation se fait de plus en plus sentir selon les profils d’agriculteurs, les ETA se transforment pour répondre à la demande et avancent sur le terrain du conseil, qu’il soit stratégique, patrimonial ou agronomique. Face à la position dominante des ETA sur le marché de la sous-traitance, une question stratégique se pose aux distributeurs et aux fournisseurs.
Avec un marché estimé à 4 milliards d’euros, la prestation de services est l’une des tendances marquantes de l’évolution de l’agriculture française. En fort développement depuis 1990, la sous-traitance agricole séduit de plus en plus d’agriculteurs : « entre 2000 et 2016, le nombre d’exploitations y ayant recours a été multiplié par deux », écrivent des chercheurs de Toulouse dans une note du Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture.
De nombreuses entreprises de travaux se créent pour répondre à la demande.Certaines développent désormais une large gamme de services, allant « de l’audit de propriétés agricoles à la gestion intégrale de l’exploitation, à la fois technique, administrative et financière », expliquent les auteurs qui se basent sur les recherches et enquêtes effectuées depuis 2012. Les ETA dominent le marché : en 2016, elles représentaient 90 % du volume de travail de sous-traitance agricole.
Le conseil, une nouveauté dans les prestations des ETA
La sous-traitance évolue pour gérer des incertitudes économiques et accompagner les contraintes réglementaires et environnementales. Incitations publiques, durcissement des normes, opportunités de marché, conflit de voisinage sont autant de facteurs qui poussent les agriculteurs à déléguer des opérations qui requièrent un matériel, une qualification ou une technicité spécifiques. « C’est notamment le cas dans les secteurs viticole et arboricole », précise le rapport. Mais à côté de ces opérations, les tâches administratives et fiscales sont aussi déléguées. Tout comme le conseil. « 39 % des sondés déclarent faire appel à des prestataires de services pour du conseil agronomique, juridique et patrimonial ou encore pour les aider à réfléchir sur les assolements et les itinéraires techniques en fonction des mesures PAC et des opportunités de marché », déclarent les chercheurs, précisant que le conseil est « une réelle nouveauté » et qu’il concerne particulièrement les ETA, dont la mission était jusqu’à présent principalement centrée sur la conduite des travaux.
Les ETA ont donc développé de nouveaux services de sous-traitance, comme le « A à Z » pour répondre au besoin de gestion intégrale. Le fait de proposer désormais un service globale et du sur-mesure constitue un atout majeur : il y a à la fois conseil stratégique, patrimonial et agronomique. L’organisation mute et les relations contractuelles aussi comme le montre le tableau ci-dessous.
Partenaires ou concurrents ?
Dans un contexte de baisse tendancielle du nombre d’exploitations agricoles, et de séparation du conseil et de la vente, le développement de la sous-traitance vise pour les coopératives « à fidéliser leurs adhérents mais surtout à préserver une capacité de collecte » écrivent les auteurs. Avant d’ajouter que « quelles que soient les régions, nos enquêtes indiquent que les technico-commerciaux se positionnent très souvent comme intermédiaires entre des ETA et des membres-adhérents souhaitant déléguer tout ou partie de leurs travaux culturaux. ».
« Créer de la valeur, c’est mon obsession. Je vais répondre à la demande, fidéliser mes salariés, fidéliser les contrats. Je ne fais pas du one shot. Je fais du conventionnel, je fais du bio, je travaille avec des logiciels comme Isagri et je fais du volume pour concurrencer la coopérative du coin. »
Prestataire opérant dans la région Centre
enquêté en juin 2019
Le prix n’arrive qu’en sixième position des critères de choix d’une ETA, après la confiance, la proximité, la compétence technique, l’efficacité et le matériel.
Des coopératives structurent des filiales commerciales qui reposent sur une alliance avec un centre de gestion et une entreprise de conseil en prestations agricoles, ce qui leur permet de repérer des situations qui nécessiteraient le recours à une prestation partielle ou totale. Du côté des négoces, la prise en charge de l’activité de production, sur plusieurs milliers d’hectares, vise un autre objectif : « faire jeu égal avec les industriels de la transformation, notamment sur certains marchés déficitaires comme celui de l’agriculture biologique ».
Les quatre visages de la délégation intégrale
Pour les auteurs, le développement de la sous-traitance en agriculture suit des objectifs similaires à ceux observés dans les secteurs industriels et des services. L’objectif est la création d’avantages comparatifs : optimisation des coûts, recentrage sur le cœur de métier, accès à de nouvelles pratiques… Mais les chercheurs soulignent aussi des singularités, en particulier une qui relève des préférences de l’agriculteur lorsqu’il agit selon une logique entrepreneuriale, mais aussi purement patrimoniale. « C’est cette dernière qui est à l’origine d’une pratique inédite dans le monde de la sous-traitance, à savoir la délégation intégrale de l’exploitation », expliquent-ils. Le rapport identifie quatre grands profils d’entreprises agricoles et d‘agriculteurs ayant recours à la délégation intégrale de la gestion :
Des exploitations en grandes cultures avec des chefs d’exploitation à la retraite, sans repreneurs, dans les zones marquées par une faible présence du fermage et de la coopération, ainsi que des problèmes de transmission.
Des exploitations spécialisées en élevage bovin-lait ou avec une dominante viticulture qui cherchent à augmenter leur performance globale en se recentrant sur leur cœur de métier.
Des petites exploitations « dont le chef a hérité de ses parents », et qui ne souhaite pas s’investir en raison de la taille, du revenu et des incertitudes.
Des petites exploitations en polyculture-élevage, avec des chefs encore jeunes « mais qui envisagent une sortie précoce du métier ».
Aux auteurs de conclure sur cette évolution de la sous-traitance en agriculture, qui est pour eux, le marqueur de la tertiarisation d’une partie du secteur de la production agricole : « La tertiarisation de l’agriculture française ne constituerait-elle pas un mouvement, certes peu visible, mais beaucoup plus profond que celui d’industrialisation des unités de production, décriée dans les médias ? Nos travaux nous amènent à le penser. »