Le flou persiste autour de la possible interdiction des engrais perlés
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L’avenir des engrais perlés sur le marché français est incertain. En cause, un avis défavorable de l’exécutif européen pour le maintien de ces spécialités riches en azote en agriculture bio. Une information relayée début septembre par l’Inao, la DGCCRF et la DGPE. Depuis, c’est le flou. Importateurs, distributeurs, utilisateurs… ne savent pas quel avenir sera réservé à ces produits. Référence agro a mené l’enquête.
C’est un dossier qui ne tourne pas rond. Les engrais perlés, des fertilisants d’origine végétale à forte teneur en azote, produits en Chine et dont 30 000 tonnes sont commercialisées chaque année en France, sont sous le coup d’une interdiction en agriculture biologique, a fait savoir l’Institut national de l’origine et de la qualité, Inao, à nos confrères d’Agra presse. Avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), l’Inao avait sollicité la Commission européenne en mai 2022, lui demandant de statuer sur ces produits.
Les engrais perlés sont arrivés sur le marché français en 2019, lorsque la Commission européenne a déclaré que les engrais organiques issus d’« élevages industriels » ne pouvaient pas être utilisés en agriculture biologique. Ces nouveaux fertilisants sont alors apparus comme une alternative intéressante, du fait de leur stockage et de leur utilisation pratique, ainsi que de leur très haute concentration en azote et en soufre.
Une opposition très forte des fabricants français d’engrais organiques
Ce sont précisément ces taux en matières fertilisantes qui ont suscité la méfiance des concurrents. De nombreux fabricants français d’engrais organiques se sont, très tôt, opposés à ces produits. Selon eux, malgré leur revendication d’origine 100 % végétale, ces spécialités ne seraient pas entièrement naturelles, et ne devraient leur taux d’azote élevé qu’à l’ajout d’un ammoniac de synthèse. De ce fait, ils ne rentreraient plus dans la catégorie des « vinasses et extraits de vinasse », autorisés en bio, mais dans celle des « vinasses ammoniacales », interdites.
Les engrais perlés, produits en Chine et issus de la production du glutamate, un additif alimentaire, sont en effet riches en azote ammoniacal, une rareté à l’état naturel. Or, les processus de fabrication restent secrets, en grande partie en raison du protectionnisme chinois. Et si, jusqu’à l’été 2021, les usines disposaient d’un agrément Ecocert, l’organisme a finalement décidé de le retirer. Les sites chinois disposent cependant toujours d’un agrément européen, qui certifie leur utilisation en agriculture biologique dans l’Union européenne, ainsi que de la certification allemande Ceres.
En France, trois entreprises distribuent ces produits : Terram, Calcisol et Novaem. Ces dernières dénoncent un lobbying de la part de leurs concurrents, qui voudraient se débarrasser d’un produit plébiscité par la distribution et les agriculteurs. Contactées par Référence agro, les sociétés ont indiqué avoir transmis leur documentation technique à la DGCCRF sans que celle-ci n’identifie de problème particulier. Les directeurs des trois structures l’affirment : leurs engrais sont exempts d’ammoniac de synthèse.
Manque de transparence
Si la composition de ces produits manque de clarté, la démarche portée par les autorités françaises auprès des instances européennes n’est pas plus transparente. La question posée par l’Inao, la DGCCRF et la DGPE n’a pas été rendue publique, ni auprès de la presse, ni auprès des organisations agricoles, ni même auprès du comité national de l’agriculture biologique de l’Inao, d’après une source interne. Contacté par Référence agro, l’Institut n’a pas voulu en dire davantage que son communiqué de presse du 8 septembre. Seule la DGCCRF nous a confié que la question concernait « la compatibilité de ces engrais au regard de la réglementation relative à l’agriculture biologique, notamment de l’exclusion en AB de la vinasse ammoniacale utilisée dans la fabrication de ces engrais ».
La position de l’Inao suggère une mise en œuvre de la position de la Commission européenne par les autorités françaises. C’est-à-dire, interdire l’utilisation de ces produits en agriculture biologique. Or, un haut fonctionnaire de la Commission européenne rappelle que la communication de l’exécutif européen n’a vocation qu’à apporter un éclairage réglementaire, et ne constitue en aucun cas une mesure coercitive. Face à une faible communication de l’institut sur le sujet, le doute plane, pour certains, sur la neutralité de l’Inao dans l’intitulé de la question posée à la Commission européenne et sur son éventuelle récupération pour interdire ces produits.
Pas d’informations pour les importateurs d’engrais perlés
Les metteurs en marché indiquent n’avoir pas été contactés par l’institut, malgré des sollicitations régulières. « Nous n’arrivons pas à savoir quel sera l’organisme chargé de mettre en œuvre une éventuelle interdiction », soupire un importateur français. Ils vont même plus loin : les autorités pourraient avoir, selon eux, communiqué intentionnellement auprès de la presse et des organisations professionnelles avant l’interdiction à venir. « C’est une condamnation à mort, avant même le jugement », s’insurge un autre metteur en marché français.
L’Afaïa et LCA attendent les directives
Quoi qu’il en soit, et face à ce flou, les organisations agricoles ont conseillé à leurs adhérents de retirer ces produits du marché. « Courant 2021, nous avons réuni notre comité de déontologie, et discuté avec les quelques adhérents qui en commercialisaient, pour les dissuader de poursuivre la commercialisation de ce type de produits, explique Laurent Largant, directeur d’Afaïa. Aujourd’hui, nous attendons les directives pour les distributeurs et les agriculteurs qui en ont encore en stock. » Pour le moment, aucune interdiction claire et formelle n’a été émise. « Ce produit est toujours autorisé, rappelle Bastien Fitoussi, responsable agriculture biologique à La Coopération agricole. Nous sommes en attente de la décision officielle des autorités. Et tout l’enjeu, c’est le champ de l’interdiction : quels seront les produits concernés ? Car il y a des synthèses différentes selon les produits. » La Coopération agricole compte plaider pour une harmonisation européenne autour de cette interdiction, pour limiter la concurrence avec les agriculteurs des autres États membres. Que l’on soit favorable ou non à ces produits, l’ensemble des acteurs agricoles attend une clarification de ce dossier de la part des autorités françaises.