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« Les temporalités des AMM incompatibles avec la réalité des biotechs », Alain Thibault, Agriodor

Le | Agrofournisseurs

Agriodor, une biotech de 30 employés dont 8 docteurs, a développé une innovation mondiale : des pesticides à base d’odeurs, qui agissent comme répulsifs pour les nuisibles de manière ciblée et sans impact sur l’environnement, car il s’agit de parfums avec des formulations spécifiques. La société a mis au point une formule permettant de remplacer les néonicotinoïdes dans le traitement de la jaunisse de la betterave. Bien que leur produit soit une première mondiale, sa commercialisation dans l’UE est un défi majeur. En l’absence d’une catégorie existante pour le référencer, la société doit se conformer à la réglementation applicable aux pesticides, ce qui entraîne un parcours d’homologation de sept ans. Alain Thibault, PDG d’Agriodor, répond aux questions de Référence agro

« Les temporalités des AMM incompatibles avec la réalité des biotechs », Alain Thibault, Agriodor
« Les temporalités des AMM incompatibles avec la réalité des biotechs », Alain Thibault, Agriodor

Référence agro : À quel point de développement êtes-vous arrivés avec votre traitement de la jaunisse de la betterave ?

Alain Thibault : Pour lancer un produit comme le nôtre, il y a des protocoles comparables à ceux des médicaments, avec des phases et des campagnes de tests, moins onéreux car ils se déroulent en plein champ et non pas sur des humains après des phases de test en laboratoire. Tout est scientifiquement validé, contrôlé et rigoureux.

Depuis deux ans, nos résultats sont positifs dans les champs, et nous obtenons une baisse de 70 % du nombre de pucerons vecteurs de la jaunisse dans les champs traités avec notre produit. Aujourd’hui, nous sommes en test sur 500 hectares en France, et nous avons lancé des tests aux Pays Bas, en Angleterre, en Belgique, en Allemagne et en Suisse.

Par ailleurs, c’est le même puceron qui attaque les plants de pommes de terre, et nous lançons également des tests sur ces cultures en France et en Angleterre. Tout fonctionne donc, et notre produit, qui se présente sous la forme de petits granulés de 4 mm de diamètre, actifs pendant 25 à 28 jours, n’occasionne aucun impact sur la biodiversité, et ne nécessite pas d’achat de machine pour les agriculteurs.

R.A. : Quand pourrez-vous lancer la commercialisation ?

A.T. : Nous serons prêts dans un an, mais la question des homologations et des AMM pourrait être beaucoup plus longue. La réglementation 1107/2009 s’applique car nous avons un effet sur les insectes, nous suivons donc la même réglementation que les pesticides. L’innovation va plus vite que les changements de réglementation. On nous parle de 7 ans de parcours d’homologation.

On pourra lancer la commercialisation pays par pays, avec des dérogations : mais il faut convaincre à chaque fois, démarcher 27 pays, et les administrations ne sont par définition jamais très rapides, et souvent avec des besoins spécifiques. Une AMM obtenue dans un pays de l’UE est valide dans toute sa région agronomique dans l’Union, mais en pratique, ce n’est pas vrai. On nous parle de Marché unique, mais la réalité est qu’il reste 27 marchés. Dans une biotech, on ne peut pas attendre 7 ans sans chiffre d’affaires, et c’est également un horizon trop long pour les investisseurs. Au Brésil, où nous avons un projet, l’homologation prendra 18 mois.

R.A. : Comment envisagez-vous l’avenir d’Agriodor et de votre filière ?

A.T. : Il existe beaucoup de biotechs telles que la nôtre, avec des technologies valides, mais confrontées à des temporalités trop longues : on nous parle de changements de la réglementation en 2030, mais ce n’est pas une échelle de temps compatible avec l’innovation et son financement. Dans notre écosystème, cela signifie 4 ans de financement supplémentaires à trouver car le chiffre d’affaires est d’autant décalé.

Ceux qui peuvent s’y adapter, ce sont les majors de l’agrochimie, telles Corteva, Syngenta, Bayer ou BASF, qui doivent également enrichir leur portefeuille de produits via les nouvelles technologies. Trouver de nouveaux pesticides est extrêmement coûteux, difficile et la réglementation est de plus en plus restrictive.

Inévitablement, face aux difficultés de financement de l’innovation dues entre autres à la réglementation, ils pourront procéder à des rachats de start-ups, comme cela se passe dans d’autres domaines tels que la santé. Sinon, les biotechs partent ailleurs, aux États-Unis ou au Brésil, où les délais d’homologation sont plus courts et les marchés plus importants.

Pour ce qui est d’Agriodor, nous avons choisi la France et l’Europe, mais il faut que les choses bougent plus vite ! Nous ne sommes pas les seuls à le dire, et nous espérons que la prochaine Commission entendra ces messages.

 


Agriodor

• Entreprise spécialisée dans la recherche

• Création : 2019

• Missions : développer des outils de biocontrôle odorants aux pouvoirs attractifs ou répulsifs sur les insectes.

• Effectif : 21 salariés

• Chiffre d’affaires : 1,52 Md€ (2019, dernier CA communiqué)

• Président-directeur  : Alain Thibault (Fondateur)

• Contact : Vanessa Ibarlucea, directrice de la communication et des relations extérieures

• Tél. : 07 84 38 62 32