Rencontre : des engrais et des hommes
Le | Agrofournisseurs
Pour fêter 100 ans d’organisations, qui à l’instar du syndicat professionnel des fabricants de phosphates créé en 1909, n’ont cessé de défendre la production de fertilisants, l’Unifa a eu l’idée de retracer la double histoire des engrais et de la fertilisation. « Des engrais et des hommes » n’est pas réellement un livre d’histoire, ce n’est pas non plus un manuel d’agronomie.
Entretien avec Jean-Baptiste Pambrun, auteur de l’ouvrage « Des engrais et des hommes ».
Depuis quand fertilise-t-on ?
L’art de fertiliser les terres remonte à l’Antiquité mais pendant des siècles, les techniques de fertilisation resteront rudimentaires. Elles ne progresseront que lentement, comme l’agriculture elle-même - leurs histoires d’ailleurs se confondent - et ne connaitront de véritable essor qu’au milieu du XIXe siècle quand chimistes et agronomes établirent la possibilité de nourrir des plantes avec des solutions minérales. Y.R.
Photo : Jean Pambrun, auteur de l’ouvrage (crédit photo, Unifa)
De quand date l’industrialisation des engrais ?
Les premiers engrais dits « chimiques » ne sont pas industriels mais simplement extraits des mines : nitrate de soude du Chili, phosphates naturels, sels de potasse. Le stade industriel débute par le superphoshate vers 1850. Les premiers pas de la potasse débutent juste après. C’est l’Allemagne qui donne le départ. En 1890, la France importe d’outre-Rhin 10 000 tonnes de sels de potassium. Mais il faudra attendre le siècle suivant et la fin de la première guerre mondiale pour que les agriculteurs français s’intéressent vraiment au potassium et l’adoptent comme engrais. Il en est de même pour l’azote. En 1900, la principale source d’azote est le nitrate de soude importé du Chili. La seule production française d’engrais azotés - de l’ordre de 8 000 tonnes - est celle du sulfate d’ammoniaque par récupération, au moyen de l’acide sulfurique, de l’ammoniaque contenu dans le gaz de distillation de la houille. Deux événements importants vont changer la donne : l’apparition de l’industrie de la cyanamide de chaux en 1910, et, surtout, celle de la synthèse de l’ammoniac après la guerre de 1914-1918. Il ne faut pas oublier non plus que l’industrie des engrais doit beaucoup aux agriculteurs eux-mêmes et à leur esprit d’entreprise. Quel meilleur exemple que celui d’Alphonse Derome, cultivateur nordiste qui mit au point en 1860 une méthode de fabrication d’engrais organique et créa du même coup la société Derome, certainement la plus ancienne entreprise française dédiée à la fertilisation organique.
Quels sont les faits qui vous ont le plus marqué en retraçant la double histoire des engrais et de la fertilisation ?
J’en retiendrai deux. Ce sont deux histoires finies : elles sont nées dans les années 20, juste après la première guerre mondiale et se sont achevées au début du XXIe siècle. Les histoires de la potasse française représentée par la SCPA et celle de l’azote symbolisée par l’ONIA résonnent encore. Certes, la cigogne s’est envolée et Toulouse pleure encore sur les cendres de la tragédie du 21 septembre 2001. Mais ces deux sigles continuent d’imprégner notre passé agricole et industriel.
Qu’est-ce-qui va changer pour les engrais après le Grenelle de l’Environnement ?
Le Grenelle de l’environnement ne constitue pas une date particulière pour l’industrie de la fertilisation mais plutôt la confirmation d’une orientation déjà prise, celle du développement durable et de la fertilisation raisonnée. Les usines d’engrais sont de moins en moins polluantes : elles minimisent leur consommation d’énergie et leurs rejets de gaz à effet de serres (CO2 et N2O) et gaz à effets acidifiants (NH3, NOx). Les industriels mettent également sur le marché des produits privilégiant les formes d’éléments nutritifs qui ont un faible impact environnemental. Enfin, producteurs d’engrais et instituts techniques proposent une panoplie d’outils d’aide au raisonnement de la fertilisation qui servent à la fois à prévoir au plus juste les quantités d’engrais nécessaires et à ajuster les doses en cours de saison.
Comment se porte la fertilité des sols français ?
L’Unifa publie depuis plusieurs années un indicateur constitué par les bilans régionaux pour le phosphore et la potasse. Le bilan est négatif dans plus du tiers des régions françaises depuis plusieurs années. Il y a donc un risque d’une baisse de la fertilité des sols dans ces régions.
Le secteur des engrais a-t-il encore un avenir ?
Incontestablement. Les engrais restent un secteur d’avenir car l’agriculture est amenée à produire davantage pour accompagner l’accroissement de la population mondiale : de 6,5 milliards d’êtres humains en 2008 à peut-être 9 milliards en 2050. Les fertilisants minéraux sont la seule source d’aliments pour les cultures capables d’assurer une production alimentaire de qualité et en quantité suffisante. Mais la profession des engrais devra relever le défi de l’éco-intensification. Les nouvelles pratiques agricoles préconisées par de nombreux organismes de développement ainsi que la FAO sont différentes selon les régions du monde. L’Afrique, par exemple, aura besoin de plus d’engrais pour restaurer la fertilité de ses sols et nourrir une population en forte croissance. L’Asie, quant à elle, devra utiliser les engrais de façon plus efficace et moins polluante.
Aujourd’hui, la production d’engrais peine à suivre la croissance de la demande mondiale. Par exemple, en azote, la demande mondiale devrait augmenter d’environ 3,5 % par an d’ici 2012, ce qui d’ailleurs pourrait générer des tensions sur les prix. Les engrais, c’est une longue histoire qui va continuer.
« Des engrais et des hommes » - Un ouvrage hybride qui raconte des histoires, celles de femmes et d’hommes, passionnés par leur métier, qui se sont mis au service de l’agriculture française et lui ont permis de la faire décoller puis d’atteindre une place de tout premier plan sur l’échiquier mondial. Si l’histoire se construit avec des chiffres, la consommation d’engrais à l’hectare par exemple, elle se nourrit en effet de formidables aventures humaines. Les gisements minéraux tels que ceux de la potasse en Alsace peuvent s’épuiser et des usines disparaître, les traces qu’ils laissent dans les paysages et dans les mémoires ne s’effacent pas si facilement.
Editions Unifa, 96 p, 45 € (frais de port gratuit pour les lecteurs de Référence Appro).''