Tendance insecticides colza - Bientôt orphelin du phosmet, le marché attend le cyantraniliprole
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Pour les traitements d’automne du colza, une solution majeure sera interdite au 1er novembre : le phosmet. Les insecticides restants relèvent d’une seule famille (pyréthrinoïdes), face à laquelle des résistances se développent. Une possible dérogation pour une nouvelle molécule, le cyantraniliprole, est attendue avec espoir, notamment dans les zones touchées par ces résistances.
C’est acté : le phosmet, substance active insecticide particulièrement utilisée sur colza, n’a pas été renouvelée par l’Union européenne. Il est commercialisable jusqu’au 1er août, et utilisable jusqu’au 1er novembre 2022. Gowan, qui le commercialisait via sa spécialité Boravi WG, a lancé les dernières productions fin 2021, et les acteurs du terrain vont destocker leurs derniers volumes. « Entre 2016 et 2021, en raison de l’arrêt du chlorpyriphos notamment, nous sommes passés de moins de 700 kg à plus de 950 tonnes pour l’ensemble des usages homologués, rappelle Damien Ronget, responsable technique national grandes cultures chez Gowan. Ce retrait crée une fragilité technique pour le colza, à l’automne. » Alors que la culture est challengée depuis plusieurs années par des conditions d’implantations difficiles, cette fragilité tombe mal, alors même que le conflit en Ukraine risque de créer de la demande. Le Boravi était un véritable poids lourd du segment insecticides colza, avec 24 % de part de marché, et des applications essentiellement à l’automne. Il était aussi la dernière solution offrant une véritable alternance à la famille des pyréthrinoïdes, à laquelle appartient notamment la référence technique du marché, la lambda-cyhalothrine (54 % de pdm).
Bien utiliser les derniers volumes de phosmet
Dès septembre, les producteurs surveilleront particulièrement les charançons du bourgeon terminal et les grosses altises. Face à ces coléoptères, seules les solutions à base de pyréthrinoïdes subsistent. Or, des résistances à cette famille se sont installées, avec des niveaux d’intensités variables. « La résistance « super KDR », la plus problématique, touchait huit départements lors des dernières analyses, explique Franck Duroueix, expert de ces sujets chez Terres Inovia. La résistance « KDR » est plus répandue, mais moins problématique, les pyréthrinoïdes conservant dans ce cas une certaine efficacité. » Malgré tout, le Boravi WG va manquer dans les zones les plus touchées. « Les producteurs de Lorca n’étaient pas les plus grands utilisateurs de phosmet, glisse le responsable marché protection des plantes de cette coopérative, Pascal Quirin. Mais clairement, on en aurait eu l’usage. »
Colza, tête de rotation en péril dans l’Est
Si c’est en Bourgogne que les résistances sont les plus importantes, l’inquiétude est vive également dans l’Est. Pascal Quirin explique : « Dans notre périmètre, un tiers des populations de charançons est résistant KDR. En Moselle, les solutions à base de lambda-cyalothrine fonctionnent encore contre les grosses altises, mais des foyers de super KDR se développent. » Dans la même zone, le directeur agronomie de la coopérative EMC2 Mathias Sexe est pessimiste : « Là où la résistance n’est pas installée, ça sera le cas tôt ou tard. Le fait qu’il ne reste plus qu’une famille de molécules va accélérer le développement des résistances. » Or, l’apparition d’impasses, localement, serait dramatique pour une région où le colza est une culture forte. « Nous n’avons que peu d’alternatives au colza comme tête de rotation, rappelle Mathias Sexe. De plus, nous avons consenti à des investissements dans l’aval, dans des sites de trituration et d’estérification. »
Le cyantraniliprole en relais du phosmet ?
Dans ce panorama morose, une lueur d’espoir : le produit codé « A16971 », dont la formulation foliaire est à base de cyantraniliprole, une molécule s’appuyant sur un nouveau mode d’action. L’obtention d’une AMM est prévue sur le moyen terme selon la société Syngenta, qui développe cette formulation, mais Terres Inovia a déposé une demande de dérogation de 120 jours, dès 2022, pour permettre de protéger les colzas sur larves d’altise après le 1er novembre. Une démarche qui pourrait aboutir, mais pas forcément au niveau national. « L’autorisation pourrait être localisée, prévient Mathias Sexe. Rien ne dit que nos producteurs seront dans les zones retenues. » La prudence est donc de mise, et l’appro en vue de l’automne prend la forme d’un casse-tête, car la dérogation, si elle est validée, pourrait être annoncée tardivement, pour une application recommandée début novembre, une fois le bon diagnostic réalisé au champ. Cheffe de marché insecticide de Syngenta, Aline Zaborowski assure que la firme met tout en œuvre pour répondre à la demande le cas échéant.
Activer tous les leviers agronomiques
En attendant, la consigne est claire et partagée : « Il est indispensable d’aligner tous les leviers agronomiques existants, résume Constance Richard, responsable agronomique chez Lorca. Ils constituent les pièces d’un puzzle : si un seul manque, le résultat est compromis. » Le choix des semences doit cibler les variétés les plus robustes face aux insectes, et précoces pour atteindre le stade 4 feuilles tôt, afin que la plante soit plus forte vis-à-vis des ravageurs. « Un apport de 20 à 30 unités d’azote à l’automne peut également renforcer la culture », ajoute Mathias Sexe. De son côté, Terres Inovia insiste sur l’importance de l’implantation. « Réussir un semis se raisonne avant la récolte du précédent, indique Franck Duroueix. Une bonne gestion des pailles, un travail du sol précoce en évitant de faire trop de mottes vont limiter les risques. »
Pour Guillaume Barbe, chef marché insecticides chez Adama, tout est lié, et la protection d’automne se joue aussi quelques mois plus tôt. Si sa spécialité Mavrik Smart est peu utilisée à l’automne, il rappelle les atouts de ce produit lorsqu’il est appliqué au printemps : « Sa matière active appartient à une sous-famille des pyréthrinoïdes différente de celle des principales solutions actuelles, ce qui offre une petite marge dans le jeu des alternances de molécules, limitant les résistances pour les méligèthes. Par ailleurs, elle préserve davantage les parasitoïdes des coléoptères qui sévissent à l’automne, et favorise donc une régulation naturelle. »