Clauses miroirs, la balle est dans le camp de la Commission européenne
Le | Environnement-agroecologie
La mise en place des clauses miroirs en agriculture serait compatible avec les règles de l’OMC, selon des avocats. ONG et experts appellent la Commission européenne à prendre son courage à deux mains pour imposer les règles de production européennes, plus respectueuses de l’environnement. Explications.
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« Nous demandons aux agriculteurs qu’ils soient une solution de la transition écologique. Mais les règles du commerce permettent l’entrée de produits qui échappent aux contraintes. C’est incohérent. », Nicolas Hulot, FNH[/caption]
Depuis 2008, les importations de produits agricoles qui ne respectent pas les mêmes normes de production, ont fortement augmenté dans l’Union européenne. Une situation alarmante qui freine l’élan des agriculteurs à construire un modèle exemplaire d’alimentation durable. Intervenant lors du colloque « Commerce international & pacte vert européen : quelles règles commerciales pour l’agriculture de demain ? » le 24 juin, Nicolas Hulot, président de la Fondation pour la nature et l’homme, FNH, a indiqué qu’il fallait désormais aller vers une troisième voie, celle du « juste échange ». FNH, Interbev et l’Institut Veblen ont publié un rapport le 26 mars en la matière. « Nous demandons aux agriculteurs qu’ils soient une solution de la transition écologique, explique-t-il. Mais les règles du commerce permettent l’entrée de produits qui échappent aux contraintes. C’est incohérent. L’idée n’est pas de freiner le marché mais de changer des pratiques sauvages de concurrence, notamment avec des pesticides interdits dans l’UE. »
Des clauses compatibles avec l’OMC
Emmanuel Macron et Julien Denormandie ont assuré que la mise en place de clauses miroirs, dont le rôle est d’obliger les produits importés à respecter les mêmes normes environnementales et sociétales que ceux élaborés dans l’UE, sera une des priorités de la présidence française de l’UE, qui démarre en janvier 2022. « Elles ne sont pas incompatibles avec l’Organisation mondiale du commerce, OMC », ajoute Nicolas Hulot.
Une vision partagée par Clémentine Baldon, avocate à Impact et fondatrice du cabinet Baldon Avocats. Elle a étudié la possible adéquation entre les clauses miroirs et les règles de l’OMC. « Plusieurs arguments ne sont pas entendables par l’OMC, comme l’émergence de distorsions de concurrence ou le fait de décourager les efforts des agriculteurs européens sur les pratiques agroenvironnementales », explique-t-elle. Pourtant, à droit constant, des actions sont possibles. « L’OMC reconnaît la souveraineté des pays et le développement durable, ce qui penche vers une acceptabilité des mesures environnementales », précise-t-elle.
De la cohérence dans l’UE
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« Aucun secteur ne peut ignorer les normes de l’UE vu son poids… si l’UE a le courage de les imposer », Olivier de Schutter, rapporteur spéciale des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains, ancien rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation.[/caption]
Pour que la mesure entre dans le cadre de l’OMC, plusieurs points sont à respecter : la non-discrimination, la nécessité, le fondement scientifique, ainsi que la cohérence et la bonne foi. « Il faudra montrer que l’objectif des clauses miroirs est légitime et sincère, arriver à l’étayer scientifiquement et être cohérent dans l’action. Un dernier point majeur », insiste-t-elle.
L’avocate analyse point par point ces aspects. « Il est possible que les clauses miroirs ne passent pas le test de la non-discrimination : il faudra alors prévoir de montrer d’autres atouts pour sauver la mesure », précise-t-elle. Sur la nécessité, l’avocate conseille de prouver qu’elle vise des objectifs environnementaux, sur des ressources épuisables, et surtout, qu’elle est indispensable à la moralité des citoyens européens. Quant à la cohérence et la bonne foi, l’Union européenne devra faire du ménage. « Il faut une plus forte cohérence européenne et arrêter les dérogations accordées en interne à d’autres Etats membres, indique Clémentine Baldon. L’UE devra également accompagner la démarche de beaucoup de diplomatie. »
« Le risque est faible »
Pour l’avocate, l’Union européenne peut finalement prendre le risque des clauses miroirs à ses frontières. « Depuis 1995, sur plus de 70 000 notifications à l’instance internationale, seules 20 ont fini par une décision, ajoute-t-elle. Ce qui reste très peu. Le risque est faible ».
La balle est donc dans le camp de la Commission européenne. Reste à savoir si elle aura le courage d’imposer le rapport de force. « Les pays tiers ne peuvent pas se priver du marché européen, insiste Nicolas Hulot. Il faut que l’UE utilise cette puissance de feu pour harmoniser les standards mondiaux. » Certaines organisations dans les pays tiers attendent également que l’UE impose ses règles pour faire évoluer les pratiques dans le monde. « Aucun secteur ne peut ignorer les normes de l’UE vu son poids… si l’UE a le courage de les imposer », insiste Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains, ancien rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation.
D’autres outils existent
D’autres outils existent toutefois pour obliger les produits importés à respecter les normes européennes, comme les lois antidumping, la révision de la directive pesticides, celle du règlement sur les médicaments vétérinaires, la législation sur la déforestation importée. « C’est le bon moment pour avancer », estime Mathilde Dupré, co-directrice de l’institut Veblen. Quant à Eric Andrieu, député européen, il estime nécessaire de réformer l’OMC.
- Le cas de la lentille canadienne
« La lentille est une culture de plus en plus prisée par les agriculteurs dans le cadre de la transition agroécologique, explique Samuel Leré, responsable environnement à FNH. Or, un tiers des lentilles vendues dans l’Union européenne vient actuellement du Canada, où la culture utilise des pesticides non-autorisés dans l’UE, comme le Sencor, interdit depuis 2014. Par ailleurs, l’usage du glyphosate en Europe est encadré par des restrictions, notamment au moment de la récolte, qui n’existent pas au Canada. Une situation qui permet une dessiccation plus rapide de la culture outre-Atlantique. Du coup, elle arrive 5 à 10 % moins chère sur le marché européen. »