« Nous militons pour inclure des études socio-économiques sur les réserves d’eau », F. Laborde, AGPM
Le | Politique agroécologique
Entre crises climatiques, contraintes réglementaires et défis de compétitivité, l’agriculture française, et particulièrement la filière maïs, traverse une période charnière. Franck Laborde, président de l’Association générale des producteurs de maïs, AGPM, détaille à Référence agro les solutions envisagées pour répondre à ces enjeux, notamment sur la gestion de l’eau, les alternatives aux produits phytosanitaires et le soutien des institutions publiques.
Quels sont les enjeux principaux auxquels vous faites face actuellement ?
Franck Laborde : Les enjeux majeurs sont essentiellement liés à la transition. Notre institut technique joue un rôle clé dans l’expertise des modèles de transition. Par exemple, nous avons sollicité Arvalis pour approfondir les connaissances sur les couvertures de sol et la rotation des cultures, des pratiques que nous devons promouvoir au plus haut niveau. Par ailleurs, nous explorons également les moyens de lutte non conventionnels, mais avec une exigence essentielle : garantir leur efficacité et leur viabilité économique dans nos exploitations agricoles.
Quelle est votre analyse de la situation de la crise agricole liée au maïs, notamment après les événements de février dernier ?
Franck Laborde : Dans le contexte actuel de crise, à l’AGPM, notre priorité est de structurer la production agricole en France, non seulement pour la culture du maïs, mais également pour l’ensemble du secteur agricole, y compris l’élevage. L’irrigation et la gestion de l’eau constituent des enjeux fondamentaux. Il ne s’agit pas uniquement de répondre aux besoins spécifiques du maïs, mais bien de garantir une disponibilité suffisante en eau pour toutes les exploitations agricoles, en particulier après les pénuries observées lors des étés passés.
Quelles actions concrètes avez-vous obtenues sur ces enjeux, notamment concernant les réserves d’eau ?
Franck Laborde : Face au changement climatique, à la variabilité des précipitations et à l’augmentation des températures, la création de réserves d’eau devient indispensable. Dans certains territoires, nous constatons des excédents d’eau à certaines périodes de l’année. Il est crucial de pouvoir stocker cette eau pour l’utiliser de manière optimale, en soutien à l’agriculture, à l’industrie et à d’autres besoins essentiels.
Un exemple concret est l’arrêté du 3 juillet 2024 modifiant l’arrêté du 9 juin 2021 de l’implantation des plans d’eau, qui empêchait auparavant la création de réserves dans de nombreuses zones, y compris les zones humides. Dans ces régions, la zone utilisée pour créer une réserve était systématiquement considérée comme une zone humide. Nous avons demandé un assouplissement du texte, autorisant la création de réserves sur des zones humides jusqu’à un hectare. Cette modification a permis de débloquer 70 % des projets de réserve qui étaient jusque-là suspendus. Ce résultat, obtenu grâce à la signature de Christophe Béchu avant la dissolution, est un succès concret.
En outre, pour les projets de réserve, nous militons pour l’inclusion d’études socio-économiques en complément des études environnementales. Cette approche permettrait de mieux intégrer les enjeux économiques et sociaux, en plus des considérations environnementales. Bien que cela puisse complexifier les procédures, l’objectif est clair : sauvegarder durablement l’activité agricole.
Sur les produits phytosanitaires, vous avez évoqué plusieurs préoccupations. Qu’en est-il des différences de réglementation entre la France et l’Europe ?
Franck Laborde : La réglementation française est nettement plus restrictive que celle appliquée au niveau européen, notamment en ce qui concerne certains produits de protection des cultures. Par exemple, 77,5 % des produits utilisés au Brésil pour la culture du maïs sont interdits en France, et 55 % le sont en Europe. Ce qui nous inquiète, c’est que la France impose des règles plus strictes que celles définies par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), ce qui affecte directement la compétitivité de l’agriculture française. Nous demandons une stricte application de la réglementation européenne sur le territoire français et que l’Anses n’aille pas au-delà des préconisations de l’EFSA.
Un exemple concret est l’interdiction du flonicamide, un insecticide pourtant autorisé en Europe. Nous demandons l’arrêt de ces interdictions pour des molécules lorsqu’il n’existe pas d’alternatives viables.
Concernant le S-métolachlore, un herbicide dont l’usage est interdit depuis le 24 juin 2024, nous n’avons pas demandé de dérogation, car une alternative existe : le DMTAP. Cependant, ce dernier est moins efficace sur le maïs, ce qui nous oblige à utiliser une combinaison de matières actives pour compenser. Cette situation est absurde et inefficace.
Enfin, sur la lutte contre la mouche de semis du maïs, nous demandons depuis six ans une dérogation annuelle. Bien que nous ayons obtenu cette dérogation cette année encore, cette situation reste précaire pour les producteurs, qui ne peuvent pas planifier sereinement leur activité faute de visibilité sur le long terme. Cette incertitude engendre des risques pour la production.
Comment évaluez-vous le soutien actuel de l’État ?
Franck Laborde : Je ne fais pas de politique, mais Mme Genevard a exprimé une réelle volonté sur des sujets clés, notamment les assurances climatiques et le stockage de l’eau. Elle s’est engagée sur certains points, mais nous attendons désormais des actes concrets, tels que la promulgation des arrêtés relatifs aux projets de réserve.
Nous insistons également pour que les 67 propositions formulées par Gabriel Attal, ancien Premier ministre avant la dissolution, soient mises en œuvre. Ces propositions incluent des mesures de simplification administrative et une meilleure prise en compte des enjeux agricoles dans le code de l’environnement. Michel Barnier a assuré qu’il reprendrait ces engagements, et nous demandons à Mme Genevard d’agir rapidement sur les mesures qu’elle peut appliquer par arrêté.
Nous plaidons aussi pour que l’agriculture soit davantage reconnue dans la Loi d’Orientation Agricole (LOA), afin que les autorités évaluent non seulement les impacts environnementaux pour délivrer des autorisations, mais également les impacts économiques. Il s’agit de remettre les considérations économiques au même niveau que les préoccupations environnementales. Nous comptons sur la coopération de l’ensemble des acteurs pour faire avancer ces dossiers.