Pesticides dans l’eau : « Des règles de gestion difficiles à appliquer ou lacunaires » (CGAAER)
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Le CGAAER, l’IGEDD et l’IGAS se sont vus confier une mission portant sur la gestion des non-conformités de substances phytosanitaires et leurs métabolites dans l’eau destinée à la consommation humaine (EDCH). Leur rapport, en date du mois de juin 2024, a été rendu public le 22 novembre 2024.
« La surveillance réalisée par les agences de l’eau et les contrôles sanitaires menés par les ARS révèlent des concentrations élevées de pesticides et de métabolites dans les eaux brutes et dans les eaux distribuées » : partant de ce constat que le CGAAER, l’IGEDD et l’IGAS se sont vus confier, le 20 novembre 2023, par leurs ministres de tutelle une mission portant sur la gestion des non-conformités de substances phytosanitaires et leurs métabolites dans l’eau destinée à la consommation humaine (EDCH). Leur rapport, en date du mois de juin 2024, a été rendu public le 22 novembre 2024.
Trois métabolites de pesticides, posant le plus de difficultés de gestion de la conformité, ont été ciblés par la mission : la chloridazone desphényl, la chloridazone méthyl-desphényl et le chlorothalonil R471811.
Concernant la chloridazone desphényl, « la situation la plus critique se trouve dans l’Aisne, qui concentre de nombreux captages où la concentration moyenne dans les eaux brutes dépasse 2 µg/l, avec une pointe à 23,28 µg/l. Ces teneurs supérieures à 2 µg/l signifient que des ressources ne devraient plus être utilisées pour produire des EDCH et devraient être abandonnées ». Au total, un quart des départements connaissent, à des degrés divers, des dépassements de la limite réglementaire de 0,1 µg/l.
Pour le chlorothalonil R471811, 32 départements, situés majoritairement dans les régions Hauts-de-France et Normandie, présentent des concentrations comprises entre 0,9 et 2 µg/l. Les concentrations dépassant 3 µg/l sont localisées, à 35 %, dans le Calvados, et 31 % dans l’Aisne. Au total, 40 départements présentent des concentrations supérieures au seuil de 0,9 µg/l.
« Les dérogations engendrent une lourde charge administrative »
La mission pointe plusieurs difficultés dans la mise en application des gestions de non-conformité :
- les règles de gestion sont difficiles à appliquer ou lacunaires, et les autorisations exceptionnelles et les dérogations engendrent une lourde charge administrative sans grande valeur ajoutée ;
- s’agissant des règles de gestion, les résultats des expertises peuvent être amenés à évoluer en fonction des informations reçues par l’Anses, ce qui peut avoir des incidences sur le caractère pertinent d’un métabolite ;
- les règles relatives aux métabolites non pertinents peuvent conduire à une impasse dans la mesure où la valeur indicative maximale, fixée en 2019 à 0,9 µg/l à la suite d’une expertise de l’Anses, risque de ne pouvoir être atteinte qu’à long terme pour le chlorothalonil R471811 par exemple, le temps que des traitements efficaces soient mis en place ;
- les règles de gestion relatives à la présence simultanée de substances ou à des substances jugées pertinentes ne disposant pas de Vmax ne sont pas encore établies.
La mission estime dès lors « indispensable » :
- que la Direction générale de la santé (DGS) propose aux Agences régionales de santé (ARS) des règles de gestion communes - y compris provisoires - pour les métabolites de pesticides non pertinents de substances actives désormais interdites et pour les non-conformités portant sur des substances ne disposant pas de Vmax et qu’elle s’appuie sur l’avis à venir du Haut conseil de la santé publique s’agissant de la présence simultanée de plusieurs substances ;
- que la DGS fournisse aux ARS un modèle type d’arrêté de dérogation, qu’un seul acte administratif regroupant l’ensemble des autorisations exceptionnelles et des dérogations soit établi par Personne responsable de la production et de la distribution de l’eau (PRPDE) ;
- que l’arrêté de dérogation soit ciblé sur les seules mesures curatives lorsque le captage a déjà fait l’objet d’un arrêté de zone soumise à contrainte environnementale (ZSCE) et, sinon, que la rédaction de son volet préventif soit confiée à la Direction départementale des territoires et de la mer (DDT(M)) ;
- que soit publiée sur le site du ministère de la Santé et de la Prévention et sur le site de chaque ARS la liste des molécules recherchées et qu’un modèle unique d’info facture détaillé soit proposé.
Liste des recommandations
Recommandation 1
: Organiser une collaboration structurée entre Aquaref et le laboratoire d’hydrologie de l’Anses sur les méthodes de surveillance des eaux ;
: Imposer la mise à disposition des étalons d’analyse par les industriels dès le dépôt de demande d’AMM, avec transmission au laboratoire national d’hydrologie de l’Anses ;
: Améliorer les fonctionnalités des bases de données ADES et Naïades et les rendre interopérables avec la base Sise-Eaux.
Recommandation 2
: Mettre en place un dispositif de phyto-pharmaco-épidémiologie.
Recommandation 3
À l’aune d’une comparaison critique entre la méthode exposée dans le guide Sanco et la méthode d’évaluation de la pertinence de l’Anses (avis du 30 janvier 2019), proposer une méthodologie unique d’évaluation de la pertinence d’un métabolite, retenant les prescriptions les plus protectrices des deux guides actuels pour la santé humaine. Évaluer l’opportunité d’appliquer aux eaux de surface cette méthodologie unique valide pour les eaux souterraines et les eaux destinées à la consommation humaine.
Recommandation 4
[DGS et Anses] : Promouvoir l’établissement des valeurs toxicologiques de référence (VTR) concernant les métabolites dans les EDCH, les eaux souterraines et les eaux de surface, au niveau de l’UE, sous la supervision de l’Efsa.
Recommandation 5
[DGAL et DGS] : Intégrer dans le dialogue de gestion le renforcement de 3 ETP des moyens humains de l’Anses consacrés à l’évaluation des risques dans les EDCH et l’augmentation de la redevance sur les AMM de 500 k€/an pour permettre à l’Anses de faire réaliser des études.
Recommandation 6
[DGS et HCSP] : Proposer aux agences régionales de santé des règles de gestion communes - y compris provisoires - pour les situations suivantes :
i) Gestion des métabolites non pertinents des substances actives interdites ;
ii) Gestion des non-conformités portant sur des métabolites ne disposant pas de Vmax en retenant une valeur calculée à partir de la Vmax de la molécule mère ;
iii) Gestion de la présence simultanée de plusieurs substances sur la base de l’avis à venir du Haut conseil de la santé publique. Dans un second temps, prévoir une révision du code de la santé publique pour faire converger les mesures applicables aux non-conformités des eaux brutes superficielles et souterraines.
Recommandation 7
[DGS] : Fournir aux ARS un modèle type d’arrêté de dérogation (et une méthodologie pour fixer la valeur dérogatoire).
[ARS] : Autant que possible, regrouper l’ensemble des autorisations exceptionnelles et des dérogations relevant d’une même PRPDE dans un seul acte administratif.
[Préfets, ARS et DDT(M)] : Lorsque le captage fait l’objet d’un arrêté ZSCE avec un programme d’actions, cibler l’arrêté de dérogation sur les seules mesures curatives. Dans le cas contraire, confier à la DDT(M) la rédaction du volet de l’arrêté préfectoral instaurant le plan d’actions préventif, l’ARS restant chargée de fixer la valeur de gestion et les mesures curatives.
Recommandation 8
[DGS, ARS et PRPDE] : i) Améliorer l’ergonomie du site Internet du ministère de la Santé et de la Prévention pour que les usagers puissent accéder plus directement aux résultats du contrôle sanitaire dans leur commune ;
ii) Publier sur le site de chaque ARS et sur le site du ministère de la Santé et de la Prévention la liste des molécules recherchées au titre du contrôle sanitaire ;
iii) Proposer un modèle unique d’info facture plus détaillée et permettant au consommateur de connaître les pesticides et métabolites de pesticides responsables des non-conformités et les valeurs maximales mesurées.
[ARS] : Veiller à ce que toutes les PRPDE respectent leurs obligations d’information des consommateurs en cas de situation d’EDCH non conformes.
Recommandation 9
: Apporter un financement public aux investissements de traitement à un taux d’autant plus élevé que la densité de population desservie est faible, par un cofinancement pouvant atteindre 80 % de subvention, assuré par l’État (via la DETR/DSIL et les crédits de planification écologique), l’agence de l’eau, et le conseil départemental au titre de sa compétence de solidarité territoriale. Le solde du financement serait assuré par un prêt à très long terme (type « aquaprêt » de la banque des territoires).
Recommandation 10
[DGALN, DGPE, DGAL, DGS, préfets, ARS et DDT(M)] : Instituer une ZSCE et mettre en place par arrêté un programme d’actions avec objectifs et indicateurs de résultats sur toutes les aires de captages en dépassement ou proches des limites de qualité pour les pesticides et leurs métabolites, en complément des mesures du plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux de la collectivité. En cas de non atteinte des objectifs de qualité à l’issue du premier plan, mettre en place par arrêté, et sans délai, un programme de mesures obligatoires de restriction, voire d’interdiction d’usages des produits phytopharmaceutiques en dépassement des limites de qualité sur ces Aires d’alimentation des captages (AAC), accompagné d’indemnités compensatoires pour les agriculteurs concernés.
Recommandation 11
Concevoir un seul acte réglementaire de protection des captages et de leur aire d’alimentation, instruit conjointement par l’ARS et la DDT(M) (ou la DREAL), qui comporte des prescriptions obligatoires sur les pratiques agricoles pouvant être indemnisées par les PRPDE avec l’aide de l’agence de l’eau.
[Préfets] : À court terme, mieux coordonner l’action des services de l’État (ARS, DDT(M)) et les mesures inscrites dans les arrêtés pris au titre du double dispositif DUP et ZSCE, sur des périmètres différents pour un même objectif de protection des ressources en eau.
Recommandation 12
Augmenter progressivement le taux de la Redevance pour pollutions diffuses (RPD) et élargir son assiette aux produits biocides.
[DGALN] : Renforcer les contrôles d’utilisation des produits phytopharmaceutiques sur les AAC.
Recommandation 13
Dans les 12èmes programmes des agences de l’eau, utiliser l’augmentation de la RPD pour augmenter les moyens consacrés à la réduction des pollutions par les pesticides et les concentrer sur les AAC les plus sensibles dans des contrats territoriaux portant sur les mesures les plus efficaces pour réduire la pression phytosanitaire : conversion à l’agriculture biologique, cultures et filières Bas niveau d’intrants (BNI), Paiements pour services environnementaux (PSE) spécifiques eau en systèmes de grandes cultures, infrastructures agroécologiques pour limiter les transferts, actions foncières dans les périmètres de protection rapprochée des captages, actions d’animation et de conseil aux agriculteurs (avec un financement lié à des objectifs de résultats).