Transition agricole, « l’agriculture est incluse dans le milieu naturel », Christophe Roturier, FNE
Le | Politique agroécologique
Christophe Roturier, directeur national agriculture de la FNE et ancien directeur scientifique de WWF, revient sur les récentes politiques agricoles en matière de protection environnementale et plaide pour une production « écologiquement responsable », compatible, selon lui, avec la notion de souveraineté alimentaire.
Comment évaluez-vous les politiques agricoles mises en place ces dernières années en matière de protection environnementale ?
Aujourd’hui, les problèmes environnementaux liés à l’agriculture restent malheureusement prégnants. Sur la question des nitrates dans l’eau par exemple, la situation continue de se dégrader dans certaines régions. Concernant les pesticides, nous ne constatons pas une baisse d’usage alors que depuis 2008, l’objectif est de diviser par deux leur utilisation. Et les évolutions sur le sujet ne vont pas dans le bon sens puisque le Gouvernement vient d’abandonner l’indicateur Nodu, indispensable pour suivre l’usage des pesticides. Sur la question des haies, nous savons que 70 % ont disparu depuis 1950, soit 1,4 millions de kilomètres de haies. Le phénomène s’accélère ces dernières années : entre 2006 et 2014, environ 10 400 km disparaissaient chaque année. Entre 2017 et 2021, ce chiffre monte environ à 23 500 km. Il y a donc peu de signaux encourageants.
Comment expliquez-vous que cette prise de conscience environnementale soit si difficile à être adoptée par le monde agricole ?
Je ne pense pas qu’il y ait un manque de conscience environnementale : la très grande majorité des agriculteurs a bien compris les enjeux environnementaux de notre époque. Et sur la question du changement climatique, ils sont en première ligne !
Mais les raisons de leurs difficultés sont multiples et complexes. Si on prend l’exemple de la dernière crise agricole du début d’année, ce qui était assez frappant, c’est qu’à partir d’un réel problème de revenus de certains agriculteurs, pas de tous, la question des normes environnementales et de leur charge est arrivée sur la table très rapidement. En réalité, le problème du revenu n’est pas lié directement à ces questions, mais à bien d’autres sujets. Par exemple, la répartition de la valeur ajoutée dans les filières. Récemment, la FNH a réalisé une étude sur la filière lait. Entre 2016 et 2020, le prix de la plaquette de beurre a augmenté de 34 %, la part des éleveurs de 11 %, celle des distributeurs de 32 % et celle de l’industrie agroalimentaire de 80 %. On voit bien à quel point la question du revenu est vraiment liée à l’organisation des filières. De plus, il y a des inégalités extrêmement fortes à la fois entre les filières et au sein des filières.
Dire que c’est la faute de l’environnement ne va pas résoudre le problème ! En revanche, les transitions écologiques à faire ne sont pas toujours faciles, mais elles s’anticipent, elles se pilotent, elles s’inscrivent dans le temps. Il faut tendre vers l’agroécologie. Nous entendons ce terme au sens fort, profond : une agroécologie qui permet de revoir complètement les systèmes, parce que si on fait seulement de petites adaptations à la marge, on ne va pas résoudre les problèmes de fond d’adaptation de l’agriculture et de l’élevage au changement climatique, de réduction des GES qu’ils émettent et de diminution de leurs impacts négatifs sur l’environnement et la santé humaine. Cela passe notamment par une révision des politiques publiques, par exemple la manière dont sont distribuées les aides de la PAC, en tout cas celles du pilier principal basé sur les surfaces des exploitations, ou le nombre de têtes de bétail. Actuellement, elles favorisent l’agrandissement des exploitations et entraînent ainsi la disparition des petites et moyennes structures. Les politiques menées aujourd’hui devraient beaucoup plus soutenir les efforts des agriculteurs qui souhaitent développer l’agroécologie. Ce qui suppose des façons de travailler et des modèles agricoles différents.
Que peut changer la nouvelle législature pour le monde agricole, et en particulier sur la protection de l’environnement ?
C’est un peu compliqué de répondre à la question à un moment où nous n’avons pas de visibilité sur un futur gouvernement. Nous avions beaucoup de critiques sur le PJLOA. Nous ne le trouvions pas assez ambitieux sur les questions d’installation des jeunes agriculteurs. C’était pourtant l’une des questions clés de cette loi. Aujourd’hui, les jeunes qui s’installent ne sont souvent pas issus du milieu agricole. Cela peut être un point d’appui important pour faire évoluer l’agriculture. Ces jeunes viennent avec une autre vision, une ouverture peut-être différente de celle des jeunes nés dans le monde agricole. Mélanger les points de vue peut être une façon pertinente d’entamer des transitions.
Il y avait aussi certains articles de ce PJLOA qui nous posaient problème en termes de démocratie environnementale notamment : celui concernant la réduction des délais de recours par rapport aux bassines et à certaines installations classées ICPE, et aussi sur la biodiversité avec un autre article qui créait des régressions par rapport à la situation antérieure. Avec la nouvelle législature, nous ne savons pas trop ce qu’il adviendra de cette loi. S’il doit y avoir une nouvelle loi d’orientation agricole, nous souhaitons qu’elle s’attaque réellement aux enjeux majeurs de l’agriculture, notamment le renouvellement des générations et la transition agroécologique. Il ne faut pas sacrifier les grands intérêts de l’agriculture de l’avenir à des intérêts très court-termistes.
Cette loi devrait aussi aborder frontalement la question des revenus des agriculteurs. Ce n’est pas en détruisant la biodiversité et en restreignant la démocratie environnementale que nous résoudrons ce problème. Il est nécessaire qu’une telle loi travaille sur le fond de ce sujet. Le modèle du commerce équitable, qui fixe notamment un prix minimum garanti, pourrait être une source d’inspiration. Il faut peut-être aussi réfléchir à des questions fiscales. Pourquoi ne pourrait-on pas avoir une fiscalité plus favorable pour les modèles agricoles respectueux de l’environnement et créateurs d’emplois par exemple ?
Il faut également maintenir l’aide à l’agriculture biologique, qui a fait ses preuves en termes environnementaux. Et faire respecter la loi Egalim, en particulier sur la restauration collective. Il y a des débouchés possibles pour une agriculture locale, bio, respectueuse de l’environnement, que la loi Egalim devait normalement permettre et accélérer. Mais on voit bien aujourd’hui que ce n’est pas vraiment respecté. Ce sont plusieurs pistes que le législateur pourrait saisir pour accélérer la transition vers l’agroécologie.
Quels sont les dossiers agricoles sur lesquels la FNE travaille actuellement ?
Nous nous penchons sur de nombreux sujets comme les pesticides, l’eau, l’élevage, etc.. Nous avons aussi beaucoup travaillé à l’époque sur la LOA. Et y a des questions toujours importantes pour nous, comme la méthanisation, et d’autres qui montent en importance comme l’agrivoltaïsme. Sur ce sujet, il n’y a pas encore beaucoup de références d’impact, mais pour nous il est clair qu’il faudrait déjà couvrir les zones artificialisées avant de le faire sur les sols agricoles.