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Export de pesticides interdits en France, les failles de la loi pointées du doigt

Le | Agrofournisseurs

Plus de 7 400 tonnes de pesticides interdits en France ont été fabriquées dans l’Hexagone en vue d’exportations, sur 2022. Ce chiffre, livré par deux ONG, remet en cause l’efficacité de la loi censée empêcher ce commerce. Les firmes, elles, se disent en règle et rappellent ce que ce texte leur coûte, au bénéfice d’autres pays.

Export de pesticides interdits en France, les failles de la loi pointées du doigt
Export de pesticides interdits en France, les failles de la loi pointées du doigt

Une étude publiée le 30 novembre par deux ONG, Public eye et Unearthed, a remis sous les feux de l’actualité la thématique de l’export, par la France, de pesticides interdits d’usage sur son territoire. Alors que le mouvement de fonds attendu au niveau européen tarde à se concrétiser (1), la France fait figure de pionnière. La loi egalim de 2018 pose en effet le principe d’une interdiction de « production, de stockage et de circulation » des produits phytosanitaires dont l’approbation est retirée, ou dont l’autorisation n’est pas renouvelée. Et ce, depuis le 1er janvier 2022.

Des failles dans la loi

Or, les deux ONG évoquent 7 475 tonnes de produits interdits et pourtant fabriqués en France, sur 2022. Selon leur étude, les autorités françaises ont donné le feu vert pour l’exportation de 155 références. Le curseur est toutefois moins placé sur les firmes que sur la loi elle-même, et ses failles. La loi Egalim cible en effet les produits contenant les molécules interdites, mais pas la production de ces molécules elles-mêmes, sous leur forme « pure ». Les ONG identifient par ailleurs un défaut dans le décret paru au JO le 24 mars 2022, qui distingue les produits faisant l’objet d’une « interdiction » de ceux dont l’autorisation n’a simplement « pas été renouvelée ». Pour ces derniers, la loi ne s’applique pas. En clair : la loi française ménage des exceptions, et tous les produits dont l’usage est interdit en France ne tombent pas sous le coup de l’interdiction de production, stockage et circulation…

Le secteur phytosanitaire montre patte blanche

De son côté, le secteur phytosanitaire reste droit dans ses bottes. Phyteis fait valoir, dans un communiqué publié le 1er décembre, que « les entreprises ont aligné leur dynamique sur le contexte législatif  ». Sébastien Evain, le responsable communication de Syngenta France, firme dont le nom est particulièrement cité sur le site de Unearthed, rappelle : « Les chiffres évoqués sont publics, rien n’est caché. Il n’y a là aucune révélation, et rien qui ne nous mette dans l’embarras. Nous nous conformons à la loi française. » Il déplore, du coup, que certains titres de presse ou réactions laissent entendre que la firme est dans l’illégalité.

Pour le secteur, l’étude de l’ONG est une occasion d’affirmer qu’il respecte la loi, et même de souligner les conséquences de celle-ci. Phyteis explique que les exportations des produits concernés « ont été divisées par quatre en un an ». Selon sa DG, Emmanuelle Pabolleta, « les trajectoires d’investissement des entreprises se voient progressivement réorientées vers d’autres pays, […] privant la France de capacités de recherche pour développer de nouvelles solutions ». Sébastien Evain confirme « la fragilisation d’un tissu industriel d’excellence ». Une fragilité française qui pourrait profiter à d’autres.

Pesticides interdits en France, mais réclamés ailleurs

En effet, l’étude de Public eye et Unearthed met aussi en lumière le fait que plusieurs firmes ont délocalisé la production de certains produits vers d’autres pays européens. Une information évidemment diversement interprétée. Les ONG y décèlent la nécessité d’une approche harmonisée le plus vite possible en Europe. Pour les firmes, c’est surtout une preuve que les décisions franco-françaises n’ont pas le pouvoir de changer le marché. « Il fallait être naïf pour penser que la production s’arrêterait nette, soupire un observateur du secteur des phytos en France. La demande pour ces produits n’a évidemment pas baissé au 1er janvier 2022. Les firmes s’adaptent en délocalisant, c’était totalement prévisible. »


(1) Bruxelles affirme préparer une proposition en ce sens, mais rien n’est affiché dans le programme de travail 2023 de la Commission européenne.