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Biocarburants : le coup de frein européen concernerait plus de 600 000 hectares

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Plus de 100 000 ha de céréales et betteraves et 500 000 ha de colza ! C'est la sole potentiellement concernée par la réduction des taux d'incorporation des biocarburants de première génération proposée par la Commission. Certes, les échéances sont lointaines (2021 et 2030) et les discussions à leurs débuts. Mais l'enjeu n'échappe pas aux professionnels !

 

Le 3 mai, le Copa et Cogeca prônaient dans un communiqué commun que le plafond actuel de 7 % sur les biocarburants conventionnels soit maintenu jusqu'en 2030, tout en incluant un taux d'au moins 15 % de biocarburants - tous types confondus - dans le transport d'ici à 2030. Les représentants des agriculteurs et coopératives européennes prennent ainsi le contre-pied de la position de la Commission européenne émise fin 2016. Elle propose une réduction de la contribution des biocarburants de première génération à 3,8 %, contre 7 % actuellement, pour mieux laisser la place à la seconde génération. Cette dernière passerait à un objectif de 1,5 % en 2021 à 6,8 % à l'horizon 2030. La proposition doit être soumise au Parlement et au Conseil. Les filières françaises de biodiesel et de bioéthanol mettent l'accent sur les enjeux agricoles et industriels.


L'exception française

Aujourd'hui, le taux d'intégration des biocarburants en Europe est en moyenne de l'ordre de 5 %. « La Commission considère de ce fait que descendre à 3,8 % n'est pas un changement majeur, oubliant que certains pays, comme la France, se situent au-dessus de 7 %, soit pratiquement une division par deux », calcule Claude Soudé, directeur adjoint de la Fédération française des producteurs d'oléagineux et de protéagineux (Fop). Nicolas Rialland, responsable bioéthanol et bioénergies à la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), ajoute un autre facteur baissier : « Avec la modernisation du parc automobile européen, les voitures consomment de moins en moins. En 2030, on réduirait donc la part des biocarburants sur un gâteau plus petit qu'aujourd'hui. »


Près de 500 000 ha de colza à réaffecter ?

Pour la filière Diester française, ce changement de braquet n'est pas neutre. « 1,5 million d'hectares de colza sont concernés. En prenant en compte les différents coproduits des cultures, on considère que deux tiers de ces surfaces sont dédiés à la filière biocarburant, soit environ 500 000 ha qui se trouveraient privés de débouché ! » Soit un tiers de la sole 2016. Avec cette baisse drastique de la demande, une chute du prix des huiles serait à prévoir.

Concernant le bioéthanol, les surfaces concernées s'élèvent à 220 000 ha de céréales (blé et maïs), plus 50 000 ha de betterave. Soit 270 000 ha « bruts », dont les débouchés alimentaires et énergétiques sont répartis équitablement. En effectuant la division par deux, ce serait 135 000 ha à réaffecter, au moins en partie. Si l'impact est marginal pour le blé, ce débouché ne représentant que 2 à 3 % de la sole 2015, il est un peu plus sensible pour la betterave (15 % de la sole).


Appel d'air pour les protéines importées

« Concrètement, on peut envisager un recours moindre aux têtes d'assolement que sont le colza et la betterave, au profit des céréales. Au détriment de la diversification des cultures, pourtant unanimement reconnu comme un facteur de résilience pour les exploitations », anticipe Nicolas Rialland. Sans parler du casse-tête cultural évoqué par Claude Soudé : « Dans certaines régions, peu de reconversions sont possibles, en raison des conditions pédoclimatiques limitantes. »

Tourteaux, drêches, pulpes… les marchés des coproduits du colza et de la betterave, majoritairement destinés à l'alimentation animale, souffriraient également d'une telle évolution. À l'unisson, Nicolas Rialland et Claude Soudé déplorent ce qui deviendrait un véritable appel d'air pour l'importation de protéines en provenance des pays tiers.


Des conséquences difficiles à anticiper sur le maillon industriel

À l'échelon industriel, le bioéthanol représente seize sites de transformation, « pour la plupart flambant neufs, créés entre 2005 et 2009 », détaille Nicolas Rialland. « Il est impossible d'anticiper les conséquences des « 3,8 % » dans le détail, mais il est acquis que certains devraient fermer. Au-delà des emplois directement concernés, certaines de ces installations sont intégrées sur des plateformes industrielles aussi dédiées aux marchés alimentaires dont elles sont un rouage important », explique-t-il. Une réaffectation de ces sites pour les biocarburants de seconde génération pourrait être envisagée, mais « à la marge, et sachant que le coût du procédé reste inconnu. »

Constat identique pour les dix sites d'estérification de la filière Diester, voire pour certains sites de trituration fournisseurs de la matière première. Contrairement aux installations de la filière bioéthanol, la réaffectation vers la deuxième génération est a priori impossible. Les enjeux plus globaux concernant le diesel, dont la consommation diminue en Europe et que certaines ONG voudraient voir purement et simplement interdit, sont autant d'ombres supplémentaires pour le biodiesel. Dans ce contexte, 2016 a déjà marqué une réduction d'activité pour plusieurs de ces unités.


Une proposition loin d'être adoptée en l'état

« Nous n'avons rien contre la seconde génération, mais nous pensons qu'il est possible de la dynamiser sans réduire la voilure sur la première », synthétise Claude Soudé. Les deux filières allient leurs forces pour interpeller les prochaines instances à se saisir du dossier. En particulier les eurodéputés siégeant dans les commissions spécialisées du Parlement, qui sont déjà au travail. Les États-membres auront probablement à s'exprimer durant le second semestre 2017 : le prochain gouvernement français sera lui aussi interpellé par le secteur pour défendre le maintien des 7 %. Nicolas Rialland se veut raisonnablement confiant : « Les 3,8 % de la Commission ne sont qu'une proposition, le texte final, après le processus de concertation, sera certainement différent. »