Référence agro

La Coopération agricole questionne les leviers possibles pour relancer les filières de produits de qualité

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Plusieurs intervenants - dont Sylvain Revenchon, directeur adjoint de l’Inao, Benoit Soury, directeur marché bio pour Carrefour et François Lacome, administrateur chez FedeLis - ont participé aux tables-rondes organisées sur les sujets des Siqo et de la filière d’agriculture biologique lors de la Matinale LCA, le 27 novembre 2024.

Benoit Soury et Sylvain Revenchon - © D.R.
Benoit Soury et Sylvain Revenchon - © D.R.

« La conjoncture actuelle nous interpelle. Nous savions que, face au choc de l’inflation, les consommateurs se tournent vers des produits à prix accessibles et nous ne pouvons pas les juger. Mais cette descente en gamme fragilise les filières et remet en question la structuration de la filière de produits de qualité », déclare Serge Le Bartz, président d’Eureden et de la direction compétitivité & transition de La Coopération Agricole, en introduction de la Matinale LCA, à laquelle Référence agro a assisté, le 27 novembre 2024.

Plusieurs intervenants - dont Sylvain Revenchon, directeur adjoint de l’Inao, Benoit Soury, directeur marché bio pour Carrefour et François Lacome, administrateur chez FedeLis - ont participé aux tables-rondes organisées sur les sujets des Carrefour)

  • « Pour Carrefour, la bio n’est pas une lubie de dernière minute. Nous avons transformé les statuts de l’entreprise dès 2019 pour inscrire notre ambition de porter la transition alimentaire pour tous et en particulier avec un slogan de communication qui est “Act for food”. Nous l’avons un tout petit peu laissé tomber pendant la période covid et de forte inflation, mais pour nous, cela porte des engagements très précis.
  • Nous lançons notre Act Food 2, avec une accessibilité prix la plus forte possible pour les consommateurs. Nous sommes convaincus que l’accessibilité est le principal argument que nos consommateurs reprochent globalement aux produits bio. Nous devons être un acteur engagé, notamment sur un certain nombre de signes de qualité. Sur le label Rouge, nous avons vendu plus d’un million de poulets label Rouge chez Carrefour.
  • Quand on parle de la transition alimentaire, ce n’est pas simplement la bio, c’est aussi la démarche d’agroécologique sur laquelle nous avons un rôle, pas simplement de vendre des produits mais de travailler nos assortiments, dans l’élaboration des produits de nos marques propres, avec des engagements et des signes de qualité qui soient les plus élevés possibles sans pour autant oublier l’accessibilité.
  • Dans cet objectif, nous avons noué beaucoup de partenariats avec le monde agricole, c’est essentiel pour nous. C’est essentiel aussi de le faire avec des acteurs français. Pour nos produits à marque Carrefour bio, c’est plus de 80 % de production, de transformation qui sont faites en France avec, à chaque fois, le plus souvent possible de la matière première d’origine France.
  • Nous nous sommes engagés sur la transition du climat, sur le fameux “1,5 °”. Notre président, Alexandre Bompard, a pris pour engagement que, d’ici à 2026, nous ne conserverions pas, au terme de 2026, des fournisseurs qui n’auraient pas engagé une démarche vertueuse sur ces engagements. Chaque année nous publions l’indice, c’est-à-dire, le nombre de fournisseurs sur notre top 100, qui ont engagé une démarche.
  • Nous avons pour ambition à horizon 2026 de faire 8 Md€ de chiffre d’affaires via des produits certifiés durables, dont 650 M€ de ventes de produits d’origine végétale en Europe, soit un doublement du business, et de développer les ventes en vrac pour atteindre 300 M€.
  • Quelques explications assez simples au contexte global dans lequel nous sommes pour le bio :

    • Le contexte inflationniste qui a touché le business. En 2021-2022, nous avions de grosses problématiques liées au Covid. En 2022-2023, l’énorme évolution de l’inflation, avec +22 % sur les produits alimentaires sur les deux années. Il y avait une énorme difficulté pour les ménages français de conserver une habitude de consommation alimentaire, en particulier sur le bio.
    • Il y a eu un effet de correction simultanée de l’offre, c’était indispensable. Le marché français fait 5 % de son chiffre d’affaires alimentaire en bio, mais il a encore pratiquement 8 % de ses références présentées en bio. C’est pour cela que l’explication de la rentabilité du CA par référence est importante et nous sommes volontaristes sur le sujet. Nous allons continuer à surexposer le nombre de références. Cela ne nous a pas empêchés de diminuer l’offre des produits qui ne tournent pas sur un linéaire, à cause des invendus.
    • Il y a eu beaucoup de débats : “Est-ce que le logo AB est bien ? Est-ce que cela pourrait être mieux ?” C’est certainement intellectuellement passionnant mais cela ne fait que troubler la perception des consommateurs sur la valeur donnée au logo. Nous avons déjà suffisamment à défendre et à expliquer la valeur du label pour, à nos yeux, s’embarquer dans un développement d’autres labels intellectuellement satisfaisant mais qui sont, soit au niveau des consommateurs, invisibles, soit jamais avec des moyens de promotions suffisants pour les faire émerger, soit qui n’ajoutent rien de plus à l’existant.

  • Nous sommes très engagés sur les labels, et je remercie l’Inao pour le travail fait pour les soutenir. Si on ne les soutient pas, ce ne seront que des labels privés, or le label privé est très proche d’une marque et ce n’est pas le même sujet. »

Benoit Soury, directeur marché bio pour le groupe Carrefour.

« La RHD doit jouer le jeu et afficher la provenance des produits, notamment quand ce sont des Siqo » (François Lacome, FedeLIS)

  • « Quand on a constaté les problématiques rencontrées et les baisses de consommation sur les Siqo, comment fait-on pour reprendre le développement ? :
  • Redonner du sens au Siqo pour les consommateurs : Nous avons la chance d’avoir des Siqo en France, ce n’est pas le cas de tous les pays et nous devons informer sur ces sigles. Il faut expliquer qu’ils sont ancrés dans les territoires, qu’ils ont de la valeur ajoutée pour les producteurs, qu’ils ont une valeur environnementale avec un respect de l’environnement et du bien-être animal. Ces Siqo respectent aussi un cahier des charges rigoureux. Nous avons besoin d’un budget important pour financer une communication grand public, nous sollicitons l’État pour cela. L’organisation milite également pour un renforcement de la loi de sorte à lutter efficacement contre les usages litigieux des termes  »label«  et  »origine« .
  • Favoriser l’accessibilité des produits Siqo aux consommateurs, en retrouvant un niveau de prix acceptable dans les rayons. La clé est de sensibiliser les distributeurs sur les efforts qu’ils ont à réaliser. Les distributeurs ont un coefficient appliqué aux produits qui rentrent. Le prix est multiplié par 5, par 7, augmentant encore entre un produit standard et un produit Siqo. Le contexte de la crise en Ukraine a fait monter le prix des céréales et de l’énergie, or il faut deux fois plus d’aliments et d’énergie pour produire un poulet Siqo, par rapport à un poulet standard. Donc au final, c’était trop cher pour le consommateur, qui subissait aussi la crise de l’énergie.
  • Développer les Siqo dans tous les circuits de distribution, dont la RHD : nous n’avons pas assez agi sur la RHD, il y avait de bonnes intentions avec la loi Egalim qui visait à mettre 50 % de produits de qualité et durables, et 20 % de bio, sauf que cela n’a pas été respecté. Autre problématique, les consommateurs en RHD demandent rarement d’où viennent les produits. D’autant plus que les restaurateurs n’affichent pas non plus la provenance, alors qu’une loi le demande. Nous avons une carte à jouer, la RHD se développe de plus en plus. Il faut demander à la RHD de jouer le jeu, et que quand elle utilise des Siqo, elle l’affiche. »

François Lacome, administrateur de FedeLIS.

« Le prix est une donnée cardinale, mais elle n’est pas la seule à expliquer la consommation » (Charlie Brocard, IDDRI)

  • « Quand nous avons commencé à travailler sur la consommation durable et la figure du consom’acteur, nous nous sommes interrogés sur le fossé que nous pouvions observer entre la déclaration des consommateurs et leurs actes. Dans les études de consommation et d’opinion, nous voyons que les critères environnementaux et de santé remontent dans le top 3 des priorités, modulo l’effet de l’inflation qui peut les faire redescendre.
  • De ce constat, on peut considérer que les personnes sont conscientisées. Elles vont donc agir en accord avec cette conscience qui ressort des études de consommation. C’est la définition du «consom’acteur ». Or, on observe, par exemple, une baisse de la consommation de bio, et sur la viande, autre sujet de conscientisation, il n’y a pas d’évolution. Comment expliquer ce fossé ? Finalement, la définition du consom’acteur est-elle toujours valable ?
  • Pour mieux comprendre, nous sommes partis de l’approche de la théorie des pratiques, issue de la sociologie, qui date des années 1980. Elle réinscrit les comportements de consommation (pourquoi j’achète bio, pourquoi je vais au marché, pourquoi je cuisine des produits bruts, etc.) dans un ensemble plus large pour expliquer ces comportements. Ces actions ne sont pas liées uniquement aux valeurs de ces personnes et à ce qu’elles pensent, ça fait aussi écho à leurs contraintes, à leurs aspirations profondes, aux groupes sociaux auxquelles elles appartiennent, aux représentations de qu’elles estiment être bien à faire, etc. Et l’ensemble de ces dimensions doivent être prises en compte pour avoir un propos construit sur pourquoi les pratiques alimentaires durables sont peu adoptées aujourd’hui, sinon on passe à côté des enjeux.
  • Nous identifions quatre pratiques alimentaires principales, il pourrait y en avoir plus : préparer un repas, faire les courses, aller au restaurant/se faire livrer et se restaurer sur son lieu d’étude ou de travail. À partir de ça, nous avons essayé d’identifier des groupes sociaux dans le cadre de la consommation de viande. Nous avons identifié douze types de ménage, avec un même rapport à l’alimentation et à la consommation de viande, et des pratiques alimentaires similaires.
  • À partir de cela, nous avons cherché à expliquer pourquoi tel ménage consomme de telle manière, ce qui nous permet de penser le futur. Car à partir d’un diagnostic, on peut correctement se projeter dans le futur et se demander : comment fait-on pour que tel ménage augmente sa consommation de bio, ou baisse sa consommation de viande ?
  • Toutes les actions sont possibles : carte de fidélité, augmentation du nombre de références, augmentation de la visibilité, temps forts, les publicités, le marketing, les prix, les informations, les labels, etc. Elles vont jouer énormément sur les consommations des ménages. En fonction de ces actions, nous pouvons simuler les réactions des ménages, qui ne réagissent pas aux mêmes stimulus. Le prix est une donnée cardinale, mais elle n’est pas la seule. On voit bien qu’en termes de consommation bio, un même ménage avec les mêmes revenus, selon le niveau de diplôme qu’il a, ne va pas consommer autant bio. Il y a bien une dimension supplémentaire à la question du prix ou des ressources financières, de l’ordre de la représentation de la norme sociale. »

Charlie Brocard, chercheur en alimentation et modes de vie, Iddri.