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Blé russe, la force d’une synergie privée/publique

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Depuis plusieurs campagnes, la Russie s’impose sur la scène internationale du commerce de céréales. Cette montée en puissance s’est souvent appuyée sur les acteurs économiques privés, en réponse aux crises notamment économiques. S’il est difficile de prévoir précisément les conséquences de la crise liée au Covid-19, une chose est sûre : la Russie a bâti une stratégie sur le long terme pour rester incontournable.

Blé russe, la force d’une synergie privée/publique
Blé russe, la force d’une synergie privée/publique

Même si les conditions météorologiques de ces dernières semaines pourraient entamer les prévisions de la récolte russe, la dynamique, elle, est lancée. Depuis près de 20 ans, la Russie a opéré sa mue, notamment en réponses à des chocs économiques ou politiques. « Les évolutions stratégiques de la Russie en matière d’agriculture et d’agroalimentaire ont souvent été initiées en réponse à des crises économiques. Les opérateurs privés ont toujours été à l’origine de ces changements. Ce fut le cas en 1998, où, pour relancer la production de volailles en Russie, les acteurs économiques russes se sont lancés dans la production de céréales. Des dynamiques similaires ont été instaurées lors de la crise financière de 2008 ou avec la crise ukrainienne en 2014 », explique Jean-Jacques Hervé, membre du club Demeter et de l’Académie de l’Agriculture.

Des investissements renforcés dans les outils de production

La crise liée au Covid-19 pourrait aussi jouer un rôle d’accélérateur. « Cette crise est différente des précédentes, c’est pourquoi il est plus difficile de prédire les orientations qui seront prises. En revanche, je pense qu’elle pourrait renforcer les efforts de recherche et développement en matière de nouvelles technologies, d’innovation, de sélection variétale », considère Jean-Jacques Hervé. Ces avancées se font au moyen de capacités d’investissement et de modernisation largement supérieures à celle des pays d’Europe de l’Ouest, « grâce à des coûts de production de l’ordre de 80 ou 100 €/t, lorsque ceux de la France avoisinent plutôt les 180 €/t, au mieux », souligne l’expert.

L’Union européenne, et donc la France, ne pourront pas gagner un combat frontal avec les producteurs de la Mer Noire en matière de

compétitivité. Nous devons donc construire des stratégies avec des

pays comme la Russie ou l’Ukraine. Il existe en Russie, des PME plus proches de la perception et de l’économie européenne que les

grosses agro-holding, et qui ne veulent pas non plus dépendre à 100 % des grands négoces mondiaux pour l’export.

Blé russe, la force d’une synergie privée/publique - © D.R.
Blé russe, la force d’une synergie privée/publique - © D.R.

Jean-Jacques Hervé

membre du club Demeter et de l’Académie de l’Agriculture

Un soutien de l’État sur le territoire et à l’étranger

Si les acteurs privés sont à l’origine des coups d’accélérateur du développement agricole russe, l’État leur apporte aussi un soutien solide. D’abord sur le plan international. « Sur la péninsule arabique, le pression exercée par les entreprises russes, comme par la diplomatie, est bien plus réaliste et soutenue que celle exercée par la France ou même l’Union européenne », confirme Jean-Jacques Hervé. Le Gouvernement place aussi ce secteur comme une priorité à l’échelle nationale. En 2019, il a publié une feuille de route et un plan de soutien ambitieux en direction de son agriculture et de l’agroalimentaire. Il s’est fixé comme objectif de produire, dans le scénario le plus favorable, 150,3 Mt de grains par an à l’horizon 2035, soit 33 % de plus qu’en 2018.

Lever le frein de la logistique

En matière d’export, le gouvernement russe espère atteindre 63,6 Mt (+ 16 %) sur cette même échéance. Pour cela, les investissements dans les infrastructures logistiques seront encore plus conséquents. « A ce jour, la logistique interne est le facteur limitant de l’expansion de l’export en Russie. Mais récemment, la banque d’État VTB a racheté des entreprises de trading, a pris des parts dans des infrastructures portuaires et logistiques intérieures. Elle est le deuxième plus gros intervenant logistique ferroviaire du pays », confirme Olivier Bouillet, directeur du bureau ukrainien d’Agritel, en charge du marché russe. La banque d’État a racheté le silo de Novorossiysk sur la mer noire, d’une capacité d’export de 25 à 27 Mt, ainsi qu’une partie de celui de Taman, capable d’exporter 5 Mt, implanté entre la mer d’Azov et la mer noire.

À l’horizon 2035, les capacités de stockage russe, aujourd’hui de 156,9 Mt, seront portées à 167,4 Mt, faisant chuter mathématiquement les coûts globaux, déjà très compétitifs.