« Conserver un segment de lait bio générateur de valeur et rémunérateur », Antoine Auvray, Cniel
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Appel à la modération, arrêt de l’accompagnement des conversions par certains opérateurs, etc. Depuis plusieurs mois, la filière du lait bio connaît des difficultés. En cause : une demande à la traîne par rapport à la dynamique, bien enclenchée, de la production. Explications avec Antoine Auvray, du service économique de l’interprofession laitière, Cniel.
Sur les douze derniers mois, un milliard de litres de lait bio ont été collectés, soit 5 % de la collecte nationale. Mais, depuis le printemps, la filière lait bio vit au rythme des appels à la modération. En effet, la production n’est plus écoulée dans les rayons, au grand dam des 4100 éleveurs produisant du lait bio. Éclairage de Antoine Auvray, du service économique de l’interprofession laitière, le Cniel.
Référence Agro : Les tensions en cours sur le marché du lait bio s’expliquent-elles par une production trop importante ?
Antoine Auvray : Après 2015, suite à la crise du lait conventionnel, la filière laitière a connu une grande période de conversions à l’agriculture biologique, débouchant sur une hausse marquée de la production de lait bio entre 2018 et aujourd’hui. Pour suivre l’évolution de l’offre, des études sont réalisées tous les six mois par le Cniel, afin de faire un état des lieux des conversions chez les opérateurs. L’objectif est de pouvoir se projeter sur les volumes de production attendus dans les deux ans à venir. Nous sommes aujourd’hui dans la lignée de ce qui pouvait être attendu en termes de volumes convertis en bio dans les enquêtes de conversion menées il y a deux ans. Il n’y a donc pas de surprise sur le niveau de production actuel.
R.A. : Comment expliquer alors la situation dans laquelle se trouve la filière aujourd’hui ?
A.A. : L’explication est plutôt à chercher du côté de la demande. Nous assistons à un problème d’équation entre l’offre et la demande. Si le Covid a eu, en 2020, un impact positif sur la consommation dans un premier temps, cette croissance a été plus nuancée sur l’ensemble de la filière bio, bien que nous ne puissions pas parler de recul. Cette baisse de la demande est encore difficile à expliquer, mais plusieurs facteurs peuvent être mis en avant, parmi lesquels la concurrence avec d’autres démarches mettant en avant l’aspect local, ou la fermeture de la restauration hors domicile. Sans diversification des débouchés, il y a des risques de déclassement supplémentaire.
R.A. : Face à cette situation, quelles sont les priorités du Cniel ?
A.A. : Nous ne sommes pas dans l’attente, nous sommes conscients de la situation. L’objectif est de conserver un segment bio générateur de valeur. Cela passe par un équilibre pérenne entre productions et débouchés. Notre intérêt est la sauvegarde de la filière, tout en maintenant un prix du lait bio rémunérateur pour les acteurs de la filière. Les inquiétudes des opérateurs portent surtout sur l’ultra-frais, qui connaît une légère décroissance, alors que c’est le deuxième poste de fabrication et de débouchés pour le lait bio. Par ailleurs, malgré toutes les alertes récentes, il n’y a eu aucune évolution sur le prix payé au producteur, qui a peu bougé depuis cinq ans. Plusieurs mesures ont été mises en place par les opérateurs. Certains organismes diminuent par exemple les entrées en conversion.
La marge de manœuvre est faible, côté production. Nous ne pouvons pas imposer à un producteur de renoncer à produire son lait, il y a un projet économique derrière. Mais l’évolution de la demande est encore peu lisible. La reprise de l’économie, la réouverture de la RHD, auront un impact. Des actions seront également menées pour dynamiser la consommation. Les consommateurs ne savent plus trop ce que recouvre la certification bio. Le sans OGM et le bio sont parfois opposés alors que cela fait partie du cahier des charges AB. Surtout, 98 % des produits laitiers bio consommés en France sont issus de lait français, alors qu’on reproche parfois au bio d’être d’origine étrangère.
R.A. : Des conséquences sur les conversions sont-elles à attendre ?
A.A. : Une enquête est en cours sur le premier semestre 2021, une seconde sera menée en fin d’année. Vers février-mars 2022, nous verrons si la situation a eu un impact sur la dynamique de conversion, et si nous retombons à des niveaux de conversions similaires à la période 2010-2015, où la collecte de lait bio progressait de 5 % par an. Pour l’heure, la dernière étude en date, menée au second semestre 2020, prévoit une collecte de 1,35 milliards de litre de lait bio et 4400 producteurs fin 2022.