Décidément, Dame Nature n’en fait qu’à sa tête
Le | Cooperatives-negoces
Depuis l’automne dernier, les aléas climatiques s’enchaînent. Aucune culture, aucune région ne semble épargnée. Dernier épisode en date : les fortes pluies sur la côte atlantique le week-end du 9 et 10 mai et une bise glaciale sur la grande moitié nord du pays. Le point en régions.
Aucune région ne semble épargnée cette année. Après les pluies automnales et la sécheresse du début de printemps, place aux inondations, à la grêle et au coup de froid ces derniers jours. Depuis des mois, le monde agricole subit de plein fouet les caprices de Dame Nature. Aujourd’hui, le constat est inquiétant : productions de semences sous l’eau, semis en retard, dégât de grêle, forte pression maladies dans les vignes, alerte maximale fusariose dans les blés… Dans certaines zones de l’Est et du Nord de la France, c’est toujours le manque d’eau qui inquiète. Le 14 mai, une prévision du ministère de la Transition écologique table même sur un risque sécheresse, à des degrés divers, pour 53 départements français. Le point dans l’Ouest avec la CAVAC (85), TERRE ATLANTIQUE (17), la Périgourdine (24) et Maïsadour (40) et plus à l’Est avec la Cal et Soufflet.
Jean-Luc Lespinas, responsable du service agronomique de la Cavac (85)
« Maïs, tournesol et blé dur sous l’eau »
« Les zones de marais, les plus touchées, ont reçu jusqu’à 120 mm en 36 heure. Mais même les parcelles de plaine, autour de Luçon et Fontenay-le-Comte ont été lourdement impactées. Au total, près de 30 000 ha ont subi cet épisode climatique. Une partie des blés durs, semés tardivement autour du 20 mars, avaient enfin réussi à lever tant bien que mal. Ils se retrouvent aujourd’hui sous l’eau. Cette dernière va mettre du temps à sortir des parcelles : quel sera l’impact sur les cultures qui auront été inondées pendant deux ou trois jours ? Certaines parcelles de maïs et de tournesol, tout juste semées, ont raviné. Les agriculteurs auront-ils l’énergie et le budget pour ressemer ? Leur moral est au plus bas. Seul point positif : les pluies ont plutôt été bénéfiques pour les blés tendres et le colza, après un important épisode de sécheresse. Mais sur blé, la pression fusariose est à son maximum ».
Bruno Schrijvers, chef marché céréales chez Maïsadour (40)
« Pourtant, le potentiel était là »
« Le potentiel des cultures d’automne était plutôt bon et les semis de printemps, bien avancés pour la saison étaient réalisés à plus de 65 %. Mais les 140 mm de pluie tombés en quatre jours et les épisodes de grêle, c’est la douche froide ! La vigne a été touchée mais les tournesols, au stade 2 cotylédons, également. Si le pivot est touché, la plante ne sera pas fertile. Les maïs devraient eux, mieux se refaire. La capacité de compensation de cette plante est incroyable. Les excès de pluie ont entrainé inondation et ravinement. Aujourd’hui, nous accompagnons les agriculteurs dans la déclaration de sinistre. Pour la récolte 2020, la collecte de céréale d’automne est divisée par deux, du fait des difficultés d’implantation à l’automne. Certaines parcelles ont été couchées par les trombes d’eau. Même si le tallage était moindre, les épis eux, étaient bien remplis. Avec le retour de la chaleur, le risque maladies est très important ».
Yannick Delhomme, responsable de la production de semences chez Terre Atlantique (17)
« Jusqu’à 120 mm en 36 heures »
« Il y a trois semaines, on priait pour avoir de l’eau. Le week-end dernier, il est tombé, en 36 heures, jusqu’à 120 mm de pluie dans certains secteurs. Les semis de tournesol destinés à la production de semences, qui avaient enfin pu débuter la semaine dernière, sont aujourd’hui inondés. Dans les marais, qui accueillent près de 80 % de nos 1800 ha, au moins dix jours seront nécessaires pour que l’eau s’évacue des parcelles. Nous dresserons un premier bilan dans quelques jours mais la situation est réellement préoccupante d’autant qu’une période de fortes chaleurs est annoncée. La terre risque de « crouter » : une difficulté supplémentaire pour que les semences germées réussissent à lever. Sans compter les éventuels problèmes sanitaires : pression mildiou, lessivage des herbicides qui venaient d’être réalisés avec à la clé, de possibles phytotoxicités. Les protocoles vont devoir être adaptés pour raccourcir le délai entre les semis des rangs mâles et femelles. L’enjeu est de récolter avant le 25 septembre car après, dans ces terres humides, les chantiers sont plus compliqués. Se pose aussi la question de la disponibilité en semences de base. L’an passé, au 15 mai, tout était semé. Là, tout est à refaire. Seul point positif : les maïs semences implantés dans les terres de groies s’en sortent mieux. »
Stéphane Prunet, responsable des équipes terrain à la Périgourdine (24)
« Mildiou sur vigne : c’est le feu ! »
« La Dordogne a été un peu moins impactée par les intempéries du week-end dernier que ses départements voisins côté atlantique, mais le niveau de pluviométrie atteint quand même, dans certains secteurs, plus de 70 mm. Quelques fonds de parcelles sont sous l’eau alors que 40 % des semis de tournesol sont encore à réaliser. Les zones de côteaux sont les plus en retard. Ces conditions compliquent la protection des cultures : fusariose sur blé et mildiou sur vigne. Dans les vignobles, la maladie explose notamment dans la zone de Bergerac et à l’Est de Bordeaux. La pression impliquerait de traiter deux fois à 4 ou 5 jours d’intervalle pour casser le cycle du champignon mais malgré l’enherbement des vignes, le passage du pulvé n’est pas toujours possible actuellement tant les sols sont imbibés d’eau. Des dégâts de grêle, localisés, sont également à signaler sur vigne. Le confinement nous a obligé à revoir le suivi des parcelles des adhérents : envois de photos, transmission des coordonnées GPS des champs à aller observer en priorité, échanges par visio… Notre métier évolue mais pour les situations les plus graves, nous nous rendons quand même sur place, en respectant bien entendu les gestes barrières. »
Claude Chalon, responsable technique à la Cal (54)
« Aucune parcelle n’affiche un potentiel de rendement supérieur à la moyenne »
« Le gel de cette semaine n’a pas de conséquence grave sur l’état des cultures. En revanche, c’est la sécheresse des dernières semaines qui pénalise les céréales à paille, notamment sur les secteurs argilo-calcaires très superficiels. Les 50 mm de pluie de lundi ont été un peu tardifs pour ces terres, mais bénéfiques pour les sols plus profonds. Toutefois, ces derniers avaient été pénalisés à l’implantation avec l’excès d’eau. Au final, toutes les parcelles ont souffert à un moment donné. Les cultures sont peu denses, les pailles sont courtes. L’état visuel s’avère très préoccupant. Aucune parcelle n’affiche un potentiel de rendement supérieur à la moyenne. Avec une année comme celle-ci, nous n’avons plus aucun repère ».
Emmanuel Bonnin, technicien filière au service agronomique conseils et innovation de Soufflet Agriculture
« Nous sommes inquiets pour les cultures de printemps »
« Après 51 jours sans pluies sur l’Yonne, l’eau est enfin revenue fin avril. Depuis, environ 75 mm sont tombés, mais le mal est fait et cela ne suffira pas pour les céréales d’hiver implantées dans les terres intermédiaires. Il n’y a pas de paille, peu de grains. En revanche, les parcelles dans les terres plus profondes sont belles et très saines. Nous sommes inquiets pour les cultures de printemps. Entre le sec, les attaques de thrips, de sitones et de pucerons, beaucoup de pois de printemps sont en mauvaise posture et certaines sont retournées. C’est du jamais vu pour cette culture qui sert d’alternative au colza, en recul dans nos régions. »