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Dix questions que soulève la séparation du conseil et de la vente des phytos

Le | Cooperatives-negoces

L’échéance approche. C’est à la fin du mois, le 31 janvier, que le projet de loi portant la séparation du conseil et de la vente des produits phytos, devrait être présenté en Conseil des ministres. Suivront des arbitrages, notamment sur le « comment », pour aboutir à une ordonnance, dans les six mois. En attendant, les suppositions vont bon train et les questions en suspens se multiplient. Nous en avons retenu dix. Pour y répondre, nous avons multiplié les échanges à tous les maillons de la filière : distributeurs, fournisseurs, unions d’appro, conseillers indépendants… Tout le monde est concerné.


De quelle façon se fera la séparation dans les entreprises ?

La séparation devrait s’opérer de façon capitalistique. Dixit le ministre de l’Agriculture le 21 décembre dernier. Impossible donc, pour une entreprise, de conserver le conseil par exemple et de bâtir une filiale dédiée à la vente des phytos. Mais l’humain a des ressources ! Certains évoquent déjà une solution. Mettre un ou deux cadres dans une société, apporter quelques fonds et le tour est joué. Pas de lien capitalistique entre les deux activités mais une société bien différenciée avec sa propre gestion administrative. « Une vraie usine à gaz et des coûts importants en vue », anticipe un distributeur.


Conseil ou vente, quel choix pour les distributeurs ?

À écouter Michel Prugue, le président de Coop de France lors du congrès le 20 décembre, le choix est clair : « Nous ne nous séparerons jamais du conseil ». Pour un distributeur du grand Ouest, la réponse est différente. « S’il fallait réellement choisir, moi, je conserve la vente des phytos car toute notre logistique, appro et collecte, est basée sur une organisation commune en termes de silos et d’hommes ». Pour Damien Mathon, délégué général de la FNA, « le conseil est stratégique pour nos entreprises. Mais tout dépend de la définition que le gouvernement donnera au mot conseil. Car chez les négociants, cette activité est pluridisciplinaire ».


De quel(s) conseil(s) parle-t-on ?

Plusieurs sources évoquent un même schéma. Les agriculteurs auraient l’obligation de recourir, une fois par an, à un conseil indépendant global. Une sorte de « contrôle technique » pour évoquer les stratégies de l’entreprise, à plus ou moins long terme, bien au-delà du simple thème des phytos : bonnes pratiques agricoles, attentes sociétales… Un conseil « stratégique », « agroécologique » pour accompagner la transition vers « moins de phytos ». Il se distinguerait dès lors d’un conseil plus « opérationnel » qui lui, serait prodigué au fil des mois, en fonction de la pression des maladies et ravageurs de l’année. Il ne s’agirait alors plus d’un conseil mais d’une « préconisation ». Mais attention, le conseil « stratégique », constituerait un passage obligé pour accéder aux suivants et donc, pour acheter les phytos.


Qui assurera le(ou les) conseil(s) ?

Une réponse difficile à trouver tant que le périmètre du mot conseil n’est pas clairement défini. En repartant sur l’hypothèse d’un conseil annuel, en morte saison, et d’une préconisation en cours de campagne, le premier pourrait être prodigué par des structures indépendantes (chambre d’agriculture, conseiller privé, CER…) et la seconde, par un distributeur. À condition que celui-ci ait fait le choix du conseil !


Quid des CEPP ?

La DGAL l’a confirmé le 10 janvier par la voix de Frédéric Malterre, adjoint au chef du bureau des semences : les CEPP, les certificats d’économie de produits phytosanitaires devraient être maintenus. Mais comment les conserver si la vente devient incompatible avec le conseil ? Car la philosophie de base de ces certificats est de motiver les distributeurs à proposer des alternatives aux phytos : les CEPP sont portés par des personnes qui vendent et conseillent. Si l’ordonnance acte une séparation nette entre ces deux activités, y compris en termes de préconisation, c’est une refonte totale des CEPP qui se profile. Un schéma où ils deviendraient… une simple taxe !


Les quantités de phytos utilisées vont-elles réellement diminuer ?

C’est en tout cas la volonté du gouvernement et tout l’enjeu de ce remue-ménage (méninges ?). « Nos décideurs ignorent-ils que l’utilisation des phytos est liée au climat, à la pression maladies et aux ravageurs de l’année, à la culture en place et non à l’amitié que nous portons à notre technico ?, questionne un agriculteur. Nous sommes des professionnels qui achetons des phytos uniquement si nous en avons besoin. Vu le contexte économique actuel, dès que nous pouvons éviter les dépenses, nous le faisons ». Et un négociant d’ajouter : « Nous savons que la réduction des phytos est dans l’air du temps. Nous y travaillons déjà. Ce n’est pas une loi ou une ordonnance qui accélèreront les choses. Il faut nous laisser du temps pour mettre en place des alternatives ».  


Quel prix pour le conseil ?

Aujourd’hui, ce serait faux de croire que le conseil est gratuit. Les distributeurs englobent le coût du conseil dans la marge dégagée sur la vente des produits phytos (entre 3 et 7 % selon les sources). Bien sûr, il y a les préconisations en matière de phytos mais pas seulement ! « Nous discutons marchés, débouchés, réglementation, équipements, politique… cela fait partie de notre métier, c’est un tout, souligne un technico. Comment facturer ces échanges ? Dix coups de fil pour une même problématique ? Qu’est-ce que l’agriculteur acceptera de payer ? ». Les conseillers indépendants, eux, se réjouissent de cette séparation du conseil et de la vente. « Les agriculteurs sont assommés par le manque de perspective, explique Benoît Bon, du cabinet SC2. Ils ont besoin de repères : le conseil en est un. Nous sommes étonnés, malgré la situation financière des exploitations, du nombre de demandes en ce début d’année. Travailler avec moins de phytos, remplacer le chimique par du biocontrôle, demandera une adaptation des pratiques pour beaucoup d’agriculteurs. Ils auront de plus en plus besoin de conseils ». Et puis, il existe des agriculteurs pointus qui apprécient d’avoir plusieurs sons de cloche et qui sont prêts à payer pour cela.


Comment la mise en marché des produits phytos va-t-elle évoluer ?

Unions d’appro, firmes phyto, sites de e-commerce… Eux aussi vont voir leur métier évoluer. Et si les sociétés phytos se décidaient d’aller directement vendre leurs produits dans les fermes ? Les sites de vente en ligne devraient profiter de cette évolution pour capter de nouveaux clients. Mais seront-ils capables, logistiquement, d’absorber ces volumes ? Et que deviendront les distributeurs qui ont déjà fait le choix de se positionner sur ce créneau du e-commerce ? Si les sites de vente se multiplient, une guerre des prix pourrait être déclenchée avec, pour les agriculteurs, davantage de points de comparaison. Une situation qui, à l’inverse de la volonté du gouvernement, ne risque-t-elle pas de doper les ventes ? « Si les règles du jeu changent, notre métier va forcément évoluer car nous sommes l’un des maillons de la chaine, confie un directeur d’union d’appro. Mais dans quel périmètre ? Avec quel capital ? Quelle rentabilité ? Difficile de se projeter tant que nous n’avons pas la réponse à ces questions ».


Quel devenir pour les contrats qualité ?

Pour la coopérative de Boisseaux (45), qui ambitionne de passer 50 % de sa collecte en filière qualité CRC (Culture raisonnée contrôlée), cette séparation pose clairement la question de la contractualisation. « Nous pouvons aujourd'hui garantir le respect de cahiers des charges complexes, car nous apportons un accompagnement agronomique et économique, explique Xavier Thirouin, directeur général. Comment allons-nous continuer à travailler sur la contractualisation si ces deux aspects sont séparés ? » Au-delà de la distribution, c’est l’ensemble de la filière agricole qui s’inquiète de cette possible évolution de la structuration des activités conseil et vente. « Un acheteur m’a clairement demandé si je serai encore en mesure de respecter son cahier des charges si je n’ai plus de vision sur les produits appliqués sur les volumes collectés », confie un négociant de l’Est de la France.


Et les équipes terrain dans tout cela ?

« Tu es plutôt technico ou commercial ? ». « Tu préfères faire uniquement du conseil ou être licencié ? ». Les TC pourraient bientôt être confrontés à ce genre de question. Le nom même de leur métier, technico-commercial, n’aura plus lieu d’être. Ni leur formation : il faudra choisir. Au Sival, la semaine dernière, plusieurs fournisseurs nous confiaient avoir été démarchés par des TC actuellement en poste chez des distributeurs : ces derniers anticipant l’évolution à venir de leur métier. Manque de motivation, réduction des effectifs… les mouvements de personnel risquent de s’accélérer.


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