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Éric Schlusselhuber, groupe Triangle - « Au final, les distributeurs conserveront la vente »

Le | Cooperatives-negoces

Consultant auprès de la distribution et des firmes phytos, Éric Schlusselhuber est un observateur privilégié de l’actualité du monde agricole. Sa vision peut surprendre. Selon lui, tous les changements qui s’annoncent, la distribution aurait dû s’y attaquer il y a déjà plusieurs années. Il n’hésite pas à avancer plusieurs certitudes : les distributeurs vont conserver la vente des phytos ; les rapprochements entre coopératives vont s’accélérer ; non, les firmes phytos ne vont pas aller vendre en direct. Et de prévenir : si la consommation de phytos ne baisse pas significativement dans les années à venir, la profession doit s’attendre à de nouvelles sanctions.

« Fondamentalement, la loi Egalim ne change rien quant à la nature des défis à relever, explique d’entrée Éric Schlusselhuber, du groupe Triangle. Les évolutions à venir, la distribution aurait dû s’y atteler bien avant. Il n’est plus question de savoir si un produit phytosanitaire est bon ou pas pour la santé ou l’environnement : les consommateurs n’en veulent plus. La profession doit apprendre à faire sans. Les solutions alternatives existent mais sont encore peu utilisées. Avec l’entrée en vigueur de la loi, les freins au changement vont tomber ». Selon lui, cette période de profonds chamboulements va créer de réelles opportunités… pour les entreprises qui sauront négocier le virage. Mais toutes n’ont pas la ressource en interne. « D’où par exemple une accélération des processus de rapprochements dans les mois à venir, notamment au sein des coopératives, assure-t-il. Se regrouper, c’est en profiter pour accélérer le changement, à tous les niveaux : sur la mise en place d’outils (biocontrôle, drone, data, OAD…), sur la refonte du modèle collecte, sur la transformation de la supplychain… Autant de défis que la distribution aurait eu intérêt à relever depuis longtemps et qui deviennent aujourd’hui indispensables », insiste-t-il.

Ne pas faire s’écrouler les prix des phytos

« Sur les dizaines de distributeurs rencontrés, un sur deux préférerait, s’il fallait vraiment choisir, conserver le conseil, confie-t-il. Mais au final, tout le monde conservera la vente car entre deux maux, autant opter pour le moindre. Qu’il s’agisse des engrais, des semences, de la collecte, des contrats, de l’approche systémique… 90 % du contenu du métier de conseiller reste en place. Et même en matière de phytos, le conseil lié au biocontrôle, aux OAD, aux CEPP, aux exploitations certifiées n’est pas remis en cause. Le risque : que les distributeurs, pour conserver leur part de marché sur les phytos, ne fassent s’écrouler les prix, en baissant drastiquement leurs marges. Certains créent déjà des grilles de prix pour se positionner. Ni les distributeurs, ni les firmes phytos n’ont intérêt à voir chuter le marché. Comment dès lors recréer différents modèles économiques pour valoriser l’innovation ? Si les prix baissent trop, c’est toute l’économie de la filière qui s’écroule. Quant à aller vendre en direct auprès des agriculteurs ? Aucune firme ne souhaite avoir 200 000 clients et avec eux, des millions de factures à gérer, des rappels, des impayés… sauf à embaucher une armée de comptables ! »

Et si les chambres passaient un deal avec la distribution ?

Si les distributeurs conservent la vente, qui va s’atteler au conseil ? Le modèle reste à construire mais déjà, plusieurs hypothèses sont à l’étude. Parmi elles, celle d’imaginer un deal entre distributeurs et chambres d’agriculture. Le président de l’APCA reconnaît lui-même ne pas posséder en interne les ressources, humaines et financières, suffisantes. « Imaginons qu’une partie des conseillers de la distribution soient embauchés par les chambres, se projette Éric Schlusselhuber. En retour, la distribution finance, directement ou indirectement, la prestation de conseils, assurée par des ex-conseillers des coopératives et négoces réunis en SAS ou embauchés par la chambre d’agriculture : des techniciens compétents, formés et qui en plus, connaissent déjà leurs clients ! Ce schéma ne peut fonctionner que si les distributeurs préservent leur marge sur le prix des produits phytos car c’est elle qui pourrait financer cette prestation de services ».

Réduire les phytos : un objectif stratégique

Les prochains mois seront décisifs. Chaque entreprise doit se positionner sur le modèle à mettre en place. « Un modèle vertueux de préférence, insiste Éric Schlusselhuber. Il faut bien le reconnaître : depuis le Grenelle de l’Environnement en 2007, il ne s’est rien passé. Résultat : une législation absurde et dangereuse se met en place. Et pourtant, le législateur peut encore inventer pire ! » L’agro-écologie ne doit plus être appréhendée comme une contrainte mais comme un objectif stratégique, sources de développement pour les entreprises. La filière n’a plus le choix. Si, dans les trois ans, la consommation de phytos ne baisse pas significativement, de nouvelles sanctions seront mises en place ». L’enjeu réside désormais à accompagner intelligemment ce changement.