Et si les néo étaient retirés du marché ? La parole au terrain
Le | Cooperatives-negoces
Que se passerait-il si la grande famille des néonicotinoïdes était interdite au 1er juillet 2018 ? Ces molécules sont-elles réellement utiles ? N’existe-t-il pas des alternatives, tout aussi efficaces ? Nous avons souhaité donner la parole aux hommes de terrain, à ceux qui, au quotidien, conseillent les agriculteurs. Force est de constater que l’inquiétude n’est pas la même pour les céréales, les betteraves, le maïs ou le colza. Pour beaucoup, se priver de cette technologie, ce serait un peu comme repasser de l’Iphone au minitel… Oublier ces traitements de semences, ce serait aussi obliger les agriculteurs à ressortir plus souvent le pulvérisateur. Qui a parlé d’agriculture durable ?
Jean-Luc Lespinas, responsable agronomique de la Cavac (85)
« La crainte majeure porte sur les céréales »
« Sur blé et orge, les alternatives aux traitements de semences à base de néo existent pour lutter contre les pucerons, vecteurs de viroses. Mais la mise en œuvre de ces solutions, en foliaire, n’est pas toujours possible, notamment dans les zones de bocage, où les sols, hydromorphes, rendent parfois délicat le passage du pulvérisateur à l’automne. Sans compter que lors d’hivers doux, plusieurs passages sont nécessaires pour venir à bout des populations de ravageurs. Les TS permettent de couvrir un risque précoce, le plus dommageable pour les cultures. Les agriculteurs de notre région sont inquiets d’autant que cette année, les symptômes de JNO sont nombreux. En maïs, l’inquiétude est moindre car la solution d’appliquer des microgranulés, pour remplacer les TS, reste efficace ».
Un responsable achat intrants, spécialisé sur le marché des betteraves sucrières
« Sur betteraves, des alternatives efficaces, écologiques et économiques… il n’y en a pas aujourd'hui »
« Les néonicotinoïdes, utilisés en TS sur betteraves sucrières, concernent aujourd’hui près de 99 % des surfaces semées en France. Tout le système de contrôle des parasites de cette culture est aujourd’hui basé sur l’usage de l’imidaclopride ou du thiaméthoxam, qu’il s’agisse des ravageurs du sol (taupin, atomaire) ou des insectes aériens (puceron, pégomyie). A ce jour, il n’y a pas de solutions alternatives efficaces, écologiques et économiques. Ne plus pouvoir utiliser ces solutions, c’est revenir plus de 20 ans en arrière et recourir à des pratiques énormément plus impactantes sur l’environnement (pyrèthres et/ou pyrimicarbe) pour contrôler les pucerons vecteurs du virus de la jaunisse de la betterave. C’est de plus réaliser plusieurs passages de produits avec tous ses aléas, sans être sûr de contrôler parfaitement les risques d’infection des plantes. Si les néo étaient retirées du marché, cela provoquerait, si ce n’est un recul des rendements, le gel des évolutions de productivité attendues prochainement par les progrès génétiques de la recherche semencière. La jaunisse, aujourd’hui quasiment absente des productions betteravières, est néanmoins endémique et reviendrait certainement en force dans les zones betteravières ».
Denis Maufras, responsable appro des Ets Lamy (79)
« En colza, comment contrôler efficacement les altises et leurs larves ? »
« Les TS Gaucho et Férial protègent plus de la moitié des blés tendres et quasi 100 % des orges. Dans notre région, les attaques de pucerons à l’automne sont très préjudiciables. Il existe des traitements aériens pour remplacer ces TS mais la difficulté reste d’appliquer cet insecticide foliaire au bon moment. La vigilance doit démarrer dès le stade 1 à 2 F et il n’est pas rare de devoir passer 2 ou 3 fois. Ce fut le cas cette année avec des températures douces qui ont favorisé les populations de pucerons et avec eux, la pression de jaunisse nanisante de l’orge. En colza et tournesol, les TS à base de néo nous manquent techniquement, notamment pour contrôler les altises et les larves d’altises sur colza à l’automne. Il existe des produits foliaires mais pas aussi efficaces. D’un point de vue éthique, je m’étais toujours interdit d’introduire du chlorpyriphos à notre gamme mais pour maitriser ces ravageurs je pense que je vais devoir m’y soumettre. En maïs, la situation est un peu différente car les attaques de taupins ne sont pas systématiques. Mais quand elles le sont, c’est resemis obligatoire. Remplacer le TS par des microgranulés, oui, c’est possible : à condition d’être équipé d’un semoir adapté ! ».
Laurence Carré, responsable de la station de semences d’Agrial (14)
« Au sein de la station, 60 % des blés et 100 % des orges sont traités Gaucho »
« Opter pour un TS insecticide, c’est choisir la sécurité : les céréales sont protégées environ 60 jours des attaques de pucerons. Il n’existe pas aujourd’hui de spécialité qui remplace à 100 % le Gaucho. Les traitements relais, en végétation, peuvent modérer l’impact des piqures de pucerons mais il faut que les traitements soient faits au moment des vols : ce qui n’est pas toujours simple à repérer avec précision. L’inquiétude est grande d’autant que les agriculteurs ont tendance à semer de plus en plus tôt. Et face à des automnes et des hivers doux, comme ce fut le cas cette année, les pressions pucerons sont importantes et les risques de viroses, transmises par les pucerons, accrus. Les demandes de nos clients ne cessent d’augmenter ».
Les néo en quelques dates :
1991 : 1ère AMM du Gaucho sur betterave
1999 : suspension du Gaucho sur tournesol
2004 : retrait des APV du Régent
2004 : retrait de l’AMM du Gaucho sur maïs puis sur tournesol
2008 : Autorisation du Cruiser et interdiction du Poncho
2012 : l’Efsa veut réévaluer les néonicotinoïdes
2012 : retrait du Cruiser sur colza
2014 : l’assemblée nationale propose d’interdire tous les néonicotinoïdes
Janvier 2016 : l’Anses propose des restrictions d’emploi
Exclusivité Référence-Appro : Retrouver toute l’actualité des néo depuis 1991, compilée sur une frise réalisée par nos soins. Elle sera actualisée au fil des semaines.