Fret ferroviaire : « les petites lignes » sur la sellette
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Le secteur agricole et agro-alimentaire, qui représente 50 % du trafic des lignes capillaires, voit son activité menacée par les fermetures de certaines voies ferrées. Une seule solution pour maintenir ce mode de transport économiquement et écologiquement compétitif : participer à l'effort financier aux côtés de l'État, de SNCF Réseau et des collectivités au travers de plans de rénovation. Certaines coopératives ou industriels ont déjà mis la main à la poche. Malgré cet engagement collectif, la pérennité de certaines voies reste fragile.
Le rapport Spinetta sur l'avenir du transport ferroviaire, remis le 13 février au Gouvernement, pointe les lacunes du réseau ferré français. Depuis les années 70, le sous-investissement de l'État dans la maintenance des lignes a conduit à leur dégradation. Un constat d'autant plus marqué pour les voies capillaires qui ont connu une baisse d'activité liée à la désindustrialisation.
Un tiers des voies capillaires sans circulation
« En France, 3 000 km de voies capillaires servent exclusivement au fret. 1 000 km ne sont plus utilisés car bien souvent, les industriels qui y étaient raccordés ont cessé leur activité. La crise de 2008 a considérablement accéléré l'abandon de ce type de ligne », constate Jean-Pierre Orus, responsable service et développement de l'offre chez SNCF Réseau, la structure en charge de la maintenance des chemins de fer français.
Des plans de rénovation entre secteurs privé et public
Fin 2014 une nouvelle dynamique est impulsée par le secrétaire d'État au transport Alain Vidalies pour rénover des voies capillaires, sur un modèle jusque-là peu développé : la coopération entre les acteurs publics et privés associant l'État, SNCF Réseau, les collectivités territoriales et locales, ainsi que les chargeurs. Le secteur agricole, qui représente 50 % de l'activité de ces lignes, est au cœur de ce dispositif. « 24 projets sont en cours de réhabilitation, soit plus de 800 km. Cela représente un investissement de 130 M€ de la part de l'ensemble des acteurs », détaille Jean-Pierre Orus.
Réouverture de lignes grâce à l'investissement collectif
Ces projets portent leurs fruits, à l'image de la réouverture de la ligne Oiry-Esternay dans la Marne, prévue mi-mars. « Avant la fermeture de la ligne, à l'automne 2014, nous faisions partir des trains de blé et maïs pour l'amidonnerie de la région, qui ne souhaitait être livrée que par voies de fer. Cela représentait plus de 20 000 tonnes, soit 20 % de notre collecte », rappelle Bruno Hamet, directeur de la coopérative d'Esternay. Autant de céréales qui ont, depuis, dû être réorientées vers d'autres finalités par camions. Heureusement, cette réouverture prochaine s'accompagne du retour de ces débouchés historiques pour la coopérative, qui a déjà vendu dix trains sur la période de mars à juin 2018.
Distributeurs et fournisseurs pénalisés
Malgré ces plans, l'avenir de certaines lignes reste incertain : dilatation des voies ne garantissant plus la sécurité, tronçons non réparés devenus vétustes… et par conséquent, des montants de travaux revus à la hausse avec, à la clé, des fermetures envisagées. Exemple chez le producteur d'engrais Amaltis, dont la moitié des approvisionnements de l'usine de Parthenay (79) provient de la ligne Niort-Thouars, la plus importante ligne de fret de Nouvelle Aquitaine. Début 2018, la SNCF Réseau a informé l'entreprise d'une fermeture de la ligne prévue pour avril. « Pour notre usine, cette ligne est vitale. Si elle ferme, c'est clairement la fermeture de notre site », insiste Gilles Duquesnoy, directeur général d'Amaltis. Des discussions sont en cours avec l'ensemble des acteurs pour trouver un point d'accord sur le financement des travaux.
Mutualiser les usages
Autre exemple en Auvergne-Rhône-Alpes où la coopérative Terre d'Alliances fait face à des problèmes similaires. « Fin 2017, SNCF Réseau nous a indiqué que la ligne capillaire de Peyrieux, sur laquelle nous sommes les seuls à circuler, allait fermer au 1er janvier 2018. Les contrats étaient déjà signés avec nos clients, et nous avons dû annuler nos 38 trains prévus sur l'année 2018, soit près de 40 000 tonnes de céréales. Nous allons repasser sur du camion ou réorienter la marchandise vers d'autres silos, mais cela représente une pénalité de 11 €/tonne », rappelle Mathieu Staub, directeur général de la coopérative. Cette ligne avait pourtant bénéficié d'un plan de rénovation sur certains tronçons, dont un investissement de 1,85 M€ de la coopérative sur les 5,3 M€ totaux. Là encore, une concertation est en cours pour trouver un accord entre l'État, SNCF Réseau, les collectivités territoriales et la coopérative.
Il parait difficile de demander aux collectivités de payer pour des installations ne servant qu'au secteur privé. Et pourtant. L'abandon du transport ferroviaire est synonyme de centaines de camions supplémentaires sur les routes, d'accélération de l'usure des voieries publiques, de densification du trafic, d'augmentation de la pollution et de la nuisance sonore. La question du maintien des voies de fer n'est donc pas seulement économique, elle est aussi politique, sociale, et environnementale.