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La solitude du dirigeant, un mal-être inavoué

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Beaucoup la subissent. Peu osent en parler. Elle, c’est la solitude du dirigeant. Dans un contexte concurrentiel de plus en plus fort, difficile d’évoquer son mal-être avec ses homologues. En interne, pas simple non plus de se confier car pour la plupart des collaborateurs, les problèmes vont avec « le plus gros salaire de l’entreprise ». À l’heure où les pressions sociétales, politiques et réglementaires grossissent, les épaules des directeurs de la distribution agricole ne sont pas toujours assez larges pour tout assumer seul.

Solide, sûr de lui, brillant, leader… le dirigeant d’une entreprise « se doit » de montrer l’exemple, sans faillir. Mais comme tout être humain, il peut lui arriver de douter, de se poser des questions sur la stratégie à adopter, de bloquer sur un dossier qu’il maîtrise peu ou mal. Jusque-là, le modèle économique de la distribution agricole était relativement stable. Mais depuis quelques années, la pression sociétale grandit, les exigences réglementaires et sanitaires également. La conjoncture oblige les entreprises à se transformer de manière inédite. Sans oublier la loi Egalim qui remet en cause le modèle même de la distribution agricole. Les thématiques à traiter sont de plus en plus nombreuses avec des enjeux et des périmètres bien plus grands. Un DG n’est pas un super-héros ! Difficile dans ce cas, de tout connaître, d’assurer sur tous les fronts.

Besoin d’être écouté, de challenger sa vision

Vers qui se tourner en cas de doute ? Pour beaucoup, vers personne. Pas toujours simple de trouver des interlocuteurs de confiance, discrets, et qui partagent une même vision. Jean-Nicolas Simon, directeur général du cabinet de conseil Mark@terras, le constate quotidiennement. « Nombreux sont les dirigeants de coopératives, plus rarement de négoces, qui font appel à nos services pour une prise de décision avisée et affirmée. Ils ont besoin d’être écoutés, d’être challengés, de partager leurs idées tout simplement ». Certains n’osent pas le faire avec leurs collègues de peur de montrer leurs « faiblesses ». D’autres reconnaissent qu’il n’existe pas toujours les compétences en interne. Au sein du conseil d’administration, hormis le président, rares sont les administrés en mesure d’être à l’écoute, d’autant qu’ils doivent faire face à d’autres réalités quotidiennes.

Des DG aux multiples fonctions

Un constat bien sûr à nuancer selon la taille de l’entreprise. Les plus grosses structures s’avèrent généralement mieux structurées, avec des responsables par pôle travaillant en étroite collaboration avec le DG : les échanges sont plus nombreux, les prises de décision davantage partagées. Pour les petites et moyennes entreprises, la situation est toute autre. Le DG cumule souvent la fonction de DGA, et parfois même celle de responsable appro ou collecte. Le pied dans l’opérationnel est permanent. Les temps pour se poser et se projeter, sont rares. Déléguer ? « Certains le font car ils ont su s’entourer d’une équipe performante et de confiance, poursuit-il. D’autres ont encore du mal à franchir le pas. Plus que jamais, un « bon » dirigeant doit savoir communiquer et manager. Quand le collectif pousse, tout va plus vite ! »

Quand le DG va, tout va

Quelles peuvent être les conséquences de ce mal être du dirigeant ? Les décisions prises ne sont pas assez mûries, pas assez construites ou retardées jusqu’à l’échéance ultime. L’entreprise risque de louper des opportunités de croissance, d’alliances… ou d’opter pour de mauvais choix ! Le projet de l’entreprise n’a peut-être pas été formalisé ou rafraîchi. La gouvernance devient bancale, affaiblie. La défiance vis-à-vis du DG peut alors s’installer au sein de l’équipe.

Pour Jean-Nicolas Simon, « les nombreux changements au sein des organigrammes des coopératives ces derniers mois expliquent en partie cette situation. Le leadership du DG est remis en cause. Ses choix et ses projets ne sont plus en phase avec les attentes des administrés. Ces derniers veulent reprendre la main. Ce choix aboutit inévitablement à terme au départ du DG. Impossible en effet de gouverner dans la défiance. Pour autant, si la rupture marque une étape, le renouvellement de la direction en est une autre. Car trouver la compétence large, avec à défaut de connaissance du secteur, un intérêt pour le monde agricole et le cas échéant pour la gouvernance coopérative, n’est pas chose facile », analyse-t-il.

Les négoces ne sont pas épargnés

Jean-Nicolas Simon reconnait que ce phénomène existe également chez les négociants même s’il reste effectivement plus rare. « Cette solitude est davantage assumée car les dirigeants des négoces ont fait le choix de l’entreprenariat et évoluent souvent au sein d’entreprises familiales avec un cadre d’échange, illustre-t-il. Ils ont aussi davantage de liberté dans leur prise de décision. Pour autant, cette fonction use. » Tous, dirigeants de coop ou de négoces, apprécient de pouvoir échanger avec leurs homologues, pour partager leur ressenti. « Mais pas forcément au sein d’un cercle centré uniquement autour de la distribution agricole ! Se confier devant des concurrents, ou des homologues voisins, c’est dévoiler ses faiblesses… et laisser croire, peut-être, que son entreprise va mal, constate Jean-Nicolas Simon. Voilà pourquoi certains n’hésitent pas à franchir la porte de clubs de dirigeants autres qu’agricoles. Une solution appréciée qui permet de se régénérer. »

À l’heure où la loi Egalim, via une ordonnance parue le 25 avril, souhaite dépoussiérer la gouvernance coopérative, un nouveau modèle est à réinventer, pour plus d’efficacité et d’échanges. Une opportunité peut-être à saisir par les DG, pour rompre le silence.