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Le conseil, « révélateur de ce qu’on attend de l’agriculteur »

Le | Cooperatives-negoces

À l’heure de la séparation de la vente et du conseil des produits phytosanitaires, le métier de conseiller doit se réinventer. En constante évolution, cette profession doit désormais composer avec des bouleversements inédits, en visant un double objectif : respecter ce nouveau contexte réglementaire et accompagner les agriculteurs dans la transition agroécologique. Explications avec Claire Ruault, sociologue au sein du Groupe d’expérimentation et de recherche : développement et actions localisées, Gerdal.

Le conseil, « révélateur de ce qu’on attend de l’agriculteur »
Le conseil, « révélateur de ce qu’on attend de l’agriculteur »

La séparation de la vente et du conseil des produits phytosanitaires a chamboulé le secteur du conseil agricole : mise en place du conseil stratégique, de référents CEPP, impossibilité pour les coopératives ayant choisi la vente d’accompagner de nouveaux groupes 30 000, etc. À l’occasion du colloque national Dephy, organisé le 3 juin, Claire Ruault, sociologue au sein du Groupe d’expérimentation et de recherche : développement et actions localisées, Gerdal, est revenue sur la transformation du métier des conseillers, et les défis à relever par ces derniers, parfois peu considérés par les agriculteurs.

Référence Agro : Quelles évolutions majeures a connu le métier de conseiller depuis sa création, dans les années 50 ?

Claire Ruault : À l’origine, l’objectif était de dire aux agriculteurs quoi faire pour produire plus, grâce à la mécanisation, aux intrants, etc. À cette époque, il y avait un contrat social clair autour d’objectifs clairs dont celui d’augmenter la production. Il y avait une cohérence entre les politiques publiques, les attentes sociétales et ce qui était demandé aux agriculteurs. Au début des années 80, de premières critiques ont émergé, sur l’intensification de l’agriculture. Elles se concentraient sur la faible proportion des agriculteurs ayant accès à du conseil et les écarts de niveaux de revenus se creusaient. Puis, lors des années 90, le changement de pratiques et la contractualisation étant plus vivement encouragés, de nouvelles approches de conseil voient le jour. Mais les anciennes, centrées sur l’augmentation du rendement, ne sont pas abandonnées. La thématique environnementale commence également à prendre de l’ampleur. Ce qui se poursuit dans les années 2000/2010, qui voient le développement de contrats en lien avec des projets de territoire.

R.A. : Qu’en est-il actuellement en 2021 ?

C.R.  : C’est compliqué ! Les enjeux, en 2021, sont complexes. Du point de vue des agriculteurs, le contrat n’est plus aussi clair que celui des années 50. Les injonctions sont nombreuses et les modes de production critiqués. L’enjeu aujourd’hui, pour les conseillers, est d’appuyer les agriculteurs dans leur maîtrise des processus techniques et de les aider à gagner en autonomie. Ce n’est pas si simple, car cela nécessite de s’adapter à des contextes spécifiques. Il y a encore du travail à faire sur la méthode. Pour cela, les conseillers doivent évoluer dans un ensemble cohérent, mais les approches ne sont pas encore les mêmes partout.

R.A. : Le métier de conseiller est-il plus compliqué aujourd’hui ?

C.R. : Cela n’a jamais été aussi complexe d’être conseiller qu’aujourd’hui. Il ne suffit plus juste de transmettre un message. Il faut des compétences méthodologiques, être capable de co-concevoir un projet, et en même temps se positionner dans un champ de compétences pas du tout consensuel, porté par différents réseaux. Par ailleurs, le métier de conseiller n’est pas assez valorisé. Il est même parfois « déligitimé » par les agriculteurs. Ces derniers écoutent l’aval qui leur dit comment produire. Mais il y a d’autres enjeux à prendre compte, comme la préservation de la biodiversité, de la qualité de l’eau, etc. Dans ce cadre, le conseil privé monte en puissance, autour de techniques de pointe comme le non labour, ou le pâturage dynamique. Il prend peut-être la place laissée par d’autres organisations, comme les chambres, sur le volet technique.

R.A. : Quelles évolutions voyez-vous pour les années à venir ?

C.R.  : Le statut du conseiller est à travailler. Ce métier reste difficile et ingrat. Il faut donner plus de moyens aux conseillers. Le système d’appel à projets actuel crée de la concurrence, et est très chronophage. Cela prend beaucoup de temps de rédiger et d’évaluer des projets. Des réflexions doivent être engagées pour identifier des pistes pour mieux financer le travail de conseiller. L’image de ce métier évolue avec le temps. Le conseil est révélateur de ce qu’on attend de l’agriculteur. En ce sens, le métier n’a peut-être pas fondamentalement changé.