Lionel Gibier, directeur de Centre Ouest Céréales - « Le volte face des politiques en matière de biodiesel peut être lourd de conséquences »
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A l’heure où la commission européenne envisage de plafonner l’utilisation des biocarburants de première génération, Lionel Gibier, directeur de Centre Ouest Céréales, s’inquiète du devenir de l’usine de trituration de Chalandray (86) et plus largement de l’avenir du colza en Poitou-Charentes.
Reference-appro.com : Le projet de la Commission prévoit de plafonner à 5 % l’utilisation des biocarburants de première génération. Quel impact sur votre activité de production de biodiesel ?
Lionel Gibier : En 2006, quand Centre Ouest Céréales décide d’investir dans une usine de trituration, le message gouvernemental est clair : la part des biocarburants va progressivement augmenter pour atteindre l’objectif de 10 % d’énergies renouvelables en 2020. Toute la rentabilité et la viabilité de notre usine sont basées sur ces perspectives : sans elles, à moyen terme, nous sommes dans une impasse. Si le taux d’incorporation de ces biocarburants diminue, la demande sera moindre et notre usine, contrainte de produire moins.
R.A. : A moins que vous ne vous tourniez vers de nouveaux débouchés ?
L.G. : Les biocarburants de première génération, produits à partir de colza et de tournesol, peuvent effectivement être utilisés pour produire du fixant pour les bitumes, des peintures, des encres… encore faut-il trouver les débouchés ! Sans compter que cela demanderait de nouveaux investissements pour le site car les process sont quelque peu différents. Quant à la production de biocarburants de deuxième génération à base de déchets végétaux ou de troisième génération à base d’algues, notre usine n’est pas non plus conçue pour. Propos recueillis par Anne Gilet
Que demandez-vous aujourd’hui aux politiques ?
Aujourd’hui, nous demandons que l’objectif reste à 10 % pour les biocarburants de première génération. Nos adhérents ont investi dans ce projet : on ne construit pas une usine pour qu’elle ne vive que 5 ans ! Et puis, l’assolement de la région a été revu pour alimenter l’usine. Le colza, moins gourmand en eau, a progressivement remplacé le maïs. Une rotation qui permet aussi de limiter le recours aux intrants. Cette logique s’inscrit pleinement dans la mouvance actuelle qui prône le retour à davantage d’agronomie. Et que dire du message du ministre du redressement productif qui insiste sur le « produire français » ? Notre usine emploie 35 personnes. Coopératives et négoces locaux alimentent le site. Les produits finis comme les 140000 tonnes de tourteaux de colza partent en Poitou-Charentes, en Bretagne ou dans les Pays de la Loire : soit autant de tonnes de soja qui ne sont pas importées.
Quelles actions avez-vous déjà engagées ?
Nos syndicats EstériFrance et EBB (Europe) tentent de faire entendre nos voix au niveau de la Commission européenne. Au niveau régional, je cherche à joindre depuis plus d’une semaine le commissaire du redressement productif… en vain pour l’instant. Nous interpellons également les politiques locaux pour leur expliquer qu’il s’agit non seulement de préserver des emplois mais également un équilibre agronomique pour l’agriculture de la région. Nos adhérents sont inquiets.
L’argument de la concurrence avec le colza alimentaire et l’impact sur l’envolée des cours, mis en avant par les ONG, a-t-il un sens à vos yeux ?
Les biocarburants de première génération occupent, en Europe, à peine 1 % des surfaces cultivables. Je ne pense pas que ce taux ait un impact quelconque sur l’envolée mondiale des cours des matières premières. Si tel était le cas, que dire alors de la décision de la Commission européenne de fixer à 3 % la part des cultures d’intérêt écologique ?
L’usine, en chiffres… et en dates
- Mars 2007 : l’usine de trituration est opérationnelle avec deux lignes de production. L’investissement est de 30 M€ dont 4 M€ apportés par les adhérents.
- Fin 2008 : la COC décroche un agrément de 60000 tonnes de biodiesel
- Février 2011 : mise en service d’une troisième ligne de trituration.
- 230000 tonnes de graines de colza et de tournesol triturées à l’année
- Produits finis : 140000 t de tourteaux de colza, 30000 t d’huile et 60000 t de biodiesel pour les pétroliers locaux (Picoty à la Rochelle, Total à Nantes et aux GMS)