Mal-être des agriculteurs : et si vous deveniez des « sentinelles » ?
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Confrontés quotidiennement au mal-être du monde agricole, confidents privilégiés malgré eux, les hommes et les femmes de terrain se retrouvent souvent impuissants face au mal-être des agriculteurs. Depuis 2015, Stéphane Devillers, juriste chez Allice (1), se bat pour créer le Réseau Agri-sentinelles (2). Ou comment repérer, alerter et agir face aux situations de détresse, pour tenter d’infléchir la courbe du nombre de suicides dans les exploitations agricoles.
Le Réseau Agri-Sentinelles devrait voir le jour en septembre 2019. L’objectif est de mobiliser le maximum de volontaires : des techniciens, conseillers, inséminateurs, vétérinaires… Chacun de ces hommes et femmes de terrain peut devenir une sentinelle pour repérer les premiers signes de détresse, alerter et agir.
Rendre visible ce tabou… pour mieux le combattre
« Les chiffres mentent, insiste d’entrée Stéphane Devillers. Le nombre d’agriculteurs qui se suicident est bien plus élevé que les « un tous les deux jours », officiellement communiqués. Les assurances ne sont guère friandes des suicides ! Alors parfois, un suicide se transforme en accident. Beaucoup de réunions, de colloques sont organisés autour du bien-être animal. Mais qu’en est-il de celui des éleveurs ? En lançant le Réseau Agri-sentinelles, je souhaite que ce fléau devienne plus visible. Moins le sujet sera tabou, plus la prévention sera possible ».
Un livret pour savoir que dire, que faire
L’idée est simple : donner aux acteurs de terrain, à ceux qui entrent chaque jour dans les fermes et nouent des liens de confiance avec les agriculteurs, les outils pour repérer les signes d’un mal-être, savoir quoi dire, quoi faire. « Le réseau s’appuiera sur un site web dédié accessible à tout le monde, précise-t-il. Par département, il recensera tous les systèmes d’accompagnement disponibles. Nous allons également éditer un livret, une sorte de guide avec les phrases à dire… et à ne pas dire. Le but est de tout lancer en même temps pour avoir un effet de masse. »
Agri-sentinelles ne sera pas un réseau de soin mais une aide pour agir le bon jour, au bon moment. Pour Stéphane Devillers, « une crise suicidaire est rarement un coup de tête. Ce processus est construit, le mode opératoire, réfléchi. Mais parfois, il n’y a malheureusement pas de signes avant-coureurs. »
10 000 sentinelles en élevage
Beaucoup d’observateurs évoquent la crise laitière, comme élément déclencheur. « Mais ce phénomène est bien antérieur, rappelle-t-il. La solitude, les problèmes familiaux, le manque d’entraide, les difficultés financières… le cocktail devient de plus en plus corrosif. En revanche, une chose est sûre : le nombre de suicides s’avère plus important dans les exploitations laitières. Les hommes, de 45 à 50 ans, célibataires, sont les plus touchés ». Rien que dans le monde de l’élevage, le nombre de sentinelles potentielles est estimé à 10 000 ! L’objectif est de mobiliser le maximum de volontaires. Le réseau, initié par Allice dans le cadre de sa démarche RSE, rassemble déjà une trentaine d’organisations agricoles, techniques, des interprofessions, des syndicats. « Ce projet, construit en commun, fait sens », souligne-t-il.
Protéger aussi les sentinelles
La démarche vise également à former ces sentinelles pour qu’elles aussi, se protègent psychologiquement. « Comme le bonheur, le malheur est souvent contagieux, rappelle Stéphane Devillers. Un inséminateur me racontait qu’un jour, il a dû décrocher un éleveur qui venait de se pendre. Les sentinelles aussi doivent savoir où s’adresser en cas de besoin. Nous n’avons pas la prétention de vouloir régler tous les problèmes mais si déjà, nous infléchissons la courbe, ce sera une belle réussite. »
(1) Allice, adhérente à Coop de France, est l’organisation nationale professionnelle des coopératives agricoles de sélection et de reproduction animales.
(2) Réseau créé par Allice et Coop de France avec le soutien opérationnel de l’Institut technique de l’élevage et le concours financier du Ministère chargé de l’agriculture au Programme national de développement agricole et rural (CASDAR).