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Phytos : l’an I du prix unique

Le | Cooperatives-negoces

Depuis le 1er janvier, finis les 3R. Rabais, remises et ristournes sont désormais interdits dans les négociations sur le prix de vente des produits phytosanitaires, hors produits de biocontrôle et substances de base. Les relations entre firme/union d’appro, firme/distributeur mais aussi entre distributeur et agriculteur s’en trouvent bouleversées. Si pour les firmes, les contrats commerciaux courent jusqu’à l’été, pour les coopératives et négoces, les stratégies en direction des agriculteurs doivent, dans les faits, être déjà calées. Sur le terrain, chacun compose avec, à son rythme.

Unique ne veut pas dire le même toute l’année

Tous les acteurs du marché des produits phytosanitaires avaient anticipé l’entrée en vigueur de cette nouvelle réglementation issue de la loi Égalim. La preuve ? Près de 80 % des achats des spécialités dédiées à la campagne de printemps ont été réalisés avant le 31 décembre 2018. Depuis, quelques réappros en janvier et février ont bien eu lieu… au même prix pour tout le monde ! Comment fixer ce prix ? La plupart des distributeurs interrogés reconnaissent que l’exercice est compliqué et que ce prix est amené à évoluer dans les mois à venir. Car si la loi oblige de proposer le même prix à tous les clients à un instant t, elle n’interdit pas de le faire varier dans le temps, à condition de le justifier. Mais les critères recevables sont encore flous : la DGCCRF n’ayant toujours pas précisé ce point.

En attendant, la mise en place d’une grille tarifaire, mois par mois, semble l’option retenue par beaucoup.

Dans les faits, le prix d’aujourd’hui, est-il plus bas ou plus élevé qu’en décembre dernier ? Notre enquête révèle qu’à chaque entreprise, une stratégie propre. Pour certains, le prix est aujourd’hui déconnecté de la notion de services. Il est donc, logiquement, plus bas. Pour d’autres, pas question de saucissonner. Il est, au mieux, identique à celui de l’an passé, rarement plus haut. Les semaines à venir devraient permettre à chacun de s’observer, d’ajuster ses prix, de se positionner sur un marché en plein chamboulement… sans oublier de jeter un œil sur les prix pratiqués sur les plateformes de commerce en ligne. Car elles aussi espèrent bien jouer leur carte dans les mois à venir.

Les firmes avancent à pas feutrés

Du côté des firmes, le dossier est moins avancé ou du moins, les informations divulguées, moins nombreuses. Les échanges s’intensifient avec les unions d’appro et les distributeurs. Les premières grilles de prix sont attendues pour le mois d’avril, ou mai. Là encore, chacun s’observe. Personne ne veut être le premier à dévoiler sa stratégie. Quel prix unique fixer ? « Un prix acceptable et qui permet de rester concurrentiel », précise l’un des acteurs du marché.

Les fournisseurs, qui deviennent acheteurs de services, attendent pour la plupart les propositions de leurs clients. D’autres préfèrent prendre les devants et afficher dès à présent leurs souhaits. La signature de contrats d’exclusivité ou de contrats de commission pourrait être l’une des options envisagées sur certaines spécialités pour simplifier les négociations liées à la suppression des 3R.

Nul doute que la campagne d’appro 2019/2020 présentera quelques dysfonctionnements… à rectifier l’année suivante. Une question reste sans réponse : les fournisseurs appliqueront-ils également l’interdiction des 3R aux spécialités de biocontrôle et substances de base, non inclues dans la loi ? Les réflexions sont encore en cours.

Des services annuels et ponctuels

« Les services feront l’objet d’un contrat cadre de départ et de contrats ponctuels », précise Sophie Coquin, responsable commerciale France chez Action Pin. Les essais, la location de place pour le stockage, les données de marché offrant aux fournisseurs la possibilité de planifier leur production, la centralisation des factures… sont autant de services de base pour lesquels les firmes sont prêtes à payer. Autre facturation possible pour les distributeurs, le temps de formation nécessaire aux TC pour appréhender les préconisations liées aux conditions d’emploi des produits phytos et aux risques associés : ces informations, même après la séparation du conseil et de la vente des produits, devront toujours être fournies par le vendeur. La mise en avant ponctuelle d’une spécialité, la promotion de produits par une équipe de proximité conséquente… font également partie des services potentiellement facturables.

Mais quelle valeur attribuer à ces différents services ? La justesse s’impose car tout le monde s’attend à ce que l’administration contrôle de près les facturations. Reste l’enjeu essentiel de cette nouvelle loi : réduire l’usage des phytos de synthèse. Sur ce point, tout le monde est unanime. La suppression des 3R n’aura aucun effet.

 

Témoignages

Cyril Sacré, directeur terrain chez TERRE ATLANTIQUE

« Le prix unique inclut des services »

« Nous avons mis en place une grille de prix, mois par mois. Cela permet de proposer un tarif plus attractif aux adhérents qui s’approvisionnent tôt : une stratégie pour anticiper au mieux nos besoins. Mais chez nous, le prix, même unique, reste lié à une politique de services… en attendant peut-être que la séparation du conseil et de la vente nous oblige à dissocier ».

 

Jean-Sébastien Loyer, directeur général de la Scael

« Nous avons diminué nos prix »

« Depuis le début de l’année, le prix de nos produits phytosanitaires a en moyenne légèrement baissé avec toujours la même offre de services. La valeur apportée aux agriculteurs est indispensable. Aujourd’hui, nous acceptons de baisser nos marges. Notre stratégie doit encore être affinée mais nous pensons proposer une offre de tarifs, mois par mois. »

Claude Bizieux, responsable appro à la CAMN (44)

« Quels services associés au prix unique ? »

« Nous allons réellement entrer dans le vif du sujet au mois de mars-avril : la plupart des achats pour la campagne de printemps ayant été anticipés avant le 31 décembre 2018. Proposer un tarif unique, oui, mais quels services y associer ? Une veille réglementaire, la reprise des produits non utilisés, une information technique, un accompagnement sur la bonne utilisation du produit, un suivi des cultures… ? Entre le maraîchage, l’arbo et la vigne, notre offre de services n’est pas la même. Nous affinons notre stratégie, en réalisant différentes simulations. Nous partirions plutôt sur un tarif mensuel avec une grille de prix différent selon les mois ».

Un distributeur de l’Est

« Le calcul du prix unique est un vrai casse-tête »

« Ajuster les prix des phytos à la baisse nous oblige à réduire nos marges sur ce marché. Or cette marge, nous devrons aller la chercher ailleurs, sur les semences, les engrais ou autre. Dans le cas contraire, cela impliquera une réduction de l’équipe, avec moins de conseils au champ, au téléphone, moins de magasins… Le calcul du prix unique est un vrai casse-tête ».

Gautier Lerond, acheteur phyto chez AREA

« À nous d’être imaginatifs pour rester incontournables »

« Les échanges avec les firmes sont très nombreux depuis plusieurs mois mais aucune d’entre elles ne nous a encore dévoilé ses prix. Personne ne veut être le premier à se positionner ! Avant, le système était plus simple. Là, tout est remis en question mais cela devrait rendre le marché plus lisible, plus transparent avec le risque de voir les prix augmenter pour les agriculteurs. Nous craignons que le bras de fer commercial tourne à l’avantage des firmes. Pour nous, unions, cela se complique. À nous d’être imaginatifs en leur proposant des services innovants et ainsi, rester incontournables. »

Emmanuel Frémy, directeur général de UNION TERRES DE FRANCE

« Des négociations, axées sur les services »

« Nous ne basculons pas dans un univers inconnu. Déjà, les ristournes axées sur les volumes étaient de moins en moins nombreuses entre notre centrale d’achat et les fournisseurs. La négociation va devenir de plus en plus qualitative avec des offres de services plus ciblées. Les allers-retours sont actuellement nombreux pour connaître les attentes en matière de services. Cela réduit le champ des négociations mais la concurrence entre fournisseurs reste importante. Leur objectif est d’être prioritairement référencés ».

Lionel Orcel, directeur général France de Nufarm

« Prendre les devants »

« Nous sommes à l’écoute des propositions de nos clients mais nous prenons aussi les devants. Ainsi, nous allons voir les distributeurs et les unions d’appro avec une liste de services qui nous intéressent. En termes de logistique ou de planification, ceux qui disposent de capacités de stockage importantes et d’une logistique performante sont avantagés ».

Jean-Jacques Pons, directeur commercial chez BASF

« Réinventer nos systèmes d’approvisionnement »

Avec la suppression des 3R, la morte saison perd de son intérêt pour l’agriculteur. Mais la planification de la production demeure indispensable. « Nous devons réinventer nos systèmes d’approvisionnement. Les distributeurs et unions d’appro peuvent sur ce point apporter une réelle valeur ajoutée. »