Rencontre avec Christian Pèes, président de Momagri - « Qu’un agriculteur ne puisse pas vivre de son métier : une réalité, choquante »
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Depuis 10 ans, Momagri promeut une régulation des marchés agricoles pour bâtir, à l'échelle mondiale, une réelle politique agricole et alimentaire. Christian Pèes, président du groupe Euralis, est, depuis un mois, président de ce mouvement. Pour lui, la crise est structurelle car la Pac actuelle est inadaptée. Si rien ne change, la situation ne peut qu'empirer. Son combat : le faire comprendre, et vite, aux politiques français et européens.
« La crise, tout le monde en parle. Et pour cause, elle touche toutes les productions en même temps. Notre politique agricole n'est plus adaptée. Il faut mettre en place une régulation des marchés pour gérer la volatilité des prix, sans quoi le monde agricole continuera à subir des enchaînements de cycles, haussiers et baissiers, de plus en plus violents. Les Etats-Unis ont les outils pour réagir dans de telles situations. Nous, non. En Europe, l'aide de base est attribuée à tous les agriculteurs, même les bonnes années. Ce qui revient à considérer qu'un agriculteur ne peut pas vivre de son métier. Je trouve cela choquant ! Le prix des céréales est au final virtuel. C'est un prix qui ne fait vivre que ponctuellement certains paysans du monde. Or, face à cette virtualité, les coûts de production, eux, sont bien réels.
Éclairer les décisions politiques
Toutes les agricultures du monde sont concernées, et, à vrai dire, en premier lieu celles dont les pays ne disposent pas, ou plus, des protections nécessaires contre la volatilité excessive des marchés agricoles internationaux. Même dans les pays les plus « compétitifs », du Danemark à l'Australie, les faillites d'exploitations agricoles ne sont plus des cas isolés. L'urgence ? Augmenter le prix d'intervention pour assainir le marché du lait en Europe. Même si Bruxelles nous écoute, je ne pense pas que les décisionnaires sont intellectuellement prêts à prendre les bonnes décisions. Les annonces, attendues le 14 mars lors du prochain Conseil des ministres européens, seront à mon sens limitées… à moins que la colère des agriculteurs ne monte encore d'un cran. A nous de poursuivre notre pédagogie auprès des parlementaires et des commissaires pour leur faire comprendre l'importance de mettre en place des mécanismes contracycliques ou assurantiels qui permettraient aux agriculteurs de vivre dignement de leur métier. Pour les céréales, la situation est tout aussi alarmante. Sauf catastrophe climatique dans l'un des grands pays producteurs, les prix devraient continuer de baisser ».
L'agriculture, un élément de sécurité nationale
Dans une lettre adressée à Manuel Valls le 22 février, Christian Pèes rappelle au Premier Ministre que la production agricole et alimentaire est un élément constitutif de notre sécurité nationale. « Partout dans le monde, l'agriculture participe à la stabilité géopolitique et économique du pays, précise-t-il. A mon sens, la puissance d'un Etat dépend aussi de sa solvabilité alimentaire. D'où l'idée de Momagri de mesurer cette solvabilité, via un indicateur, comme cela est fait pour les finances. Un outil qui nous permettra de définir les politiques économiques appropriées et tenter d'anticiper les crises. Et ce, à l'échelle de la planète car aujourd'hui, nous n'avons pas le choix. Il faut gérer le problème de fond ».