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Rencontre avec Jean-Luc Pradal, directeur commercial et marketing de GPN France

Le | Cooperatives-negoces

« La France veut-elle conserver son industrie des engrais ? »

Les difficultés de production se succèdent, au point que GPN vient de se déclarer en situation de force majeure sur son site du Grand Quevilly, suite à un nouvel incident sérieux de production. A ces problèmes viennent s’ajouter l’arrivée de nouvelles pressions réglementaires que Jean-Luc Pradal voit d’un très mauvais œil… Notamment en termes de stockage des engrais. Un problème qui touche directement la distribution, et, à terme les agriculteurs.

Referencre-appro.com : Comment expliquer les pannes à répétition sur vos sites ?

Jean-Luc Pradal : Malgré nos investissements, ces incidents se concentrent sur des points précis de nos outils : certains étant de conception plus ancienne. Nos sites sont des installations d’une grande complexité qui impliquent des points de fragilité. Et nous avons aussi des difficultés à trouver les bons niveaux de compétences sur des délais courts au niveau des sous-traitants et de la maintenance.

Ref-appro : Doit-on entendre que l’industrie des engrais n’a plus sa place en France ?

Jean-Luc Pradal : Nous ne pouvons pas associer une contre performance ponctuelle à une volonté globale. Le niveau de nos investissements, 150 millions d’euros en trois ans, témoigne de notre volonté de demeurer. L’industrie des engrais a autant sa place en France que les autres industries.. La question est donc plutôt de savoir si la France veut la conserver. L’industrie des engrais plus que tout autre secteur dans l’Hexagone a un rôle à jouer : elle est essentielle pour le premier marché agricole en Europe.

Il y a en France un réel problème de pression réglementaire contre notre activité. Je prendrai pour preuve le projet de décret sur les sites classés 1331. L’ultime version, qui a été acceptée par le Conseil supérieur des installations classées le 16 mars impose par exemple pour tous les stockages existants d’ammonitrates, en production comme en distribution, que les hangars vrac mais aussi les voies d’accès comme les aires extérieures pour le stockage des big-bags soient bétonnés et non plus bitumées.

C.D.

Photo : Jean-Luc Pradal, directeur commercial et marketing de GPN.

Jean-Luc Pradal : La méthode utilisée est contestable. Les discussions ont été menées avec la profession pendant des années et cette version est modifiée par l’administration, sans concertation, au tout dernier moment. Mais, au-delà, c’est la somme des contraintes et des investissements qui en découlent qui devient insupportable. A un certain stade, ce n’est plus la peine ! Certains vont jeter l’éponge. Ou tendre vers le moins de stocks possibles, avec deux conséquences. Tout d’abord le risque de les voir se diluer chez les exploitants, ce qui correspond aussi à une dispersion des stockages de produits considérés à risques par l’administration. Second risque, mettre l’industrie- qui produit en continu- dans l’incapacité de stocker ses produits sur le marché pendant la morte saison. La France est le seul pays en Europe à imposer de telles contraintes.

Par ailleurs ces dispositions, qui risquent de pousser la distribution à substituer l’ammonitrate par l’urée dans l’offre de fertilisation azotée, sont mêmes contradictoires avec d’autres pressions à venir. Je pense à l’évolution de la réglementation européenne consécutive au protocole de Göteborg sur la pollution atmosphérique. Celui-ci stipule notamment que les émissions d’ammoniac constituent le vrai problème. Sur cette base, la Commission européenne est sur le point de s’engager vers des mesures drastiques de réduction de ces émissions qui proviennent essentiellement de l’élevage et de l’usage d’engrais uréique. Je doute fort que ce soit le secteur de l’élevage qui trinque, mais bien plus celui des engrais, avec, en arrière plan, un risque d’interdiction pure et simple de l’urée en Europe avant 2020.

En conclusion : l’agriculture française devra fertiliser sans urée, sans solutions azotées et sans ammonitrates ! Ce fatras de mesures contraignantes, contradictoires et totalement disproportionnées est particulièrement délicat à gérer pour notre industrie, gourmande en investissements lourds qui se planifient sur des décennies.