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Séparation conseil/vente : le rapport qui pose questions

Le | Cooperatives-negoces

Le rapport des ministères de l’Agriculture et de la Transition Écologique sur les conséquences de la séparation du conseil et de la vente des phytos est enfin paru. Pourtant, sa rédaction date d’octobre 2018. Son contenu, parfois alarmant, souvent déjà périmé, aurait inspiré le Gouvernement pour rédiger l’ordonnance à paraitre prochainement. Certains points n’ont semble-t-il pas été pris en compte. Quelle valeur dès lors accorder à ce document ? Une chose est sûre : il soulève de nouvelles questions.

À peine publié et déjà périmé ! Le rapport du CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux), et du CGEDD, (Conseil général de l’environnement et du développement durable) sur les « conséquences de la séparation des activités de conseil et de vente de produits phytopharmaceutiques » a été mis en ligne sur le site du ministère de l’Agriculture le 14 mars. Sa rédaction, datée d’octobre 2018, est issue des nombreuses auditions réalisées en août et septembre 2018 auprès des différents acteurs de la filière agricole : des représentants des négociants (FNA, Perret, Soufflet, …), des coopératives (Coop de France, Acolyance, Vivescia, Dijon Céréales, Axéréal, Euralis, Valfrance), de l’UIPP, des syndicats agricoles, des ONG…

Le délai « raisonnable » de deux campagnes, trop vite oublié ?

C’est ce rapport qui aurait « inspiré » le gouvernement pour rédiger les différentes versions de l’ordonnance, actant la séparation de la vente et du conseil dans le cadre de la loi Egalim. Alors pourquoi diffuser ce document seulement maintenant ? Peut-être parce que le calendrier s’accélère et que la publication de l’ordonnance est imminente… avant la fin du mois d’avril. En tout état de cause, force est de constater que plusieurs points évoqués dans ce document n’ont pas été pris en compte par le gouvernement : d’autres sont d’ores et déjà oubliés, à commencer par le rythme annuel du conseil stratégique (désormais de 2 tous les 5 ans dans la V4) ou le délai d’application de cette loi. Les auteurs du rapport préconisent « un délai raisonnable de deux campagnes » pour former le personnel aux nouveaux métiers, mettre en place de nouveaux cahiers des charges, laisser le temps aux structures les plus fragiles de s’adapter, d’écouler les stocks pour les entités qui renonceraient à la vente… Exit ! Dans la V4, la date d’application est fixée au 1er janvier 2021 (contre juillet 2022 dans la V3), soit dans 18 mois seulement après la publication de l’ordonnance. Peut-être aboutira-t-on, dans la version finale, à un compromis ? Juillet 2021 ou janvier 2022 ?

Coop/négoce : deux poids deux mesures ?

Antoine Pissier, le président de la FNA, craint qu’au final, « cette loi soit plus favorable aux coopératives » puisqu’il est clairement écrit : « le modèle coopératif pourrait s’accommoder théoriquement d’une séparation en deux structures : l’une prenant en charge l’aval de l’agriculteur avec les conseils agronomique et phytosanitaire et l’autre les approvisionnements. À une condition : que les conseils d’administration et les directions des deux entités soient disjoints ». Et les rapporteurs d’ajouter : « les plus petites structures ne pourront probablement pas s’adapter à ces nouvelles règles : elles disparaitront ou seront absorbées. Ceci risque de conduire certains territoires et certaines productions à devenir orphelins de tous services d’amont ». Une réalité qui ne semble pas dévier le Gouvernement de son projet.

La loi facilitera-t-elle les licenciements ?

Les conséquences listées ne s’arrêtent pas là : déstructuration du fonctionnement des filières, suppression de 3 000 à 4 000 emplois… Et d’ajouter « les entreprises qui envisageraient des mesures drastiques (licenciements en particulier) pourront tirer argument d’un changement de contexte lié à une nouvelle loi pour s’affranchir de la plupart des obligations découlant de l’application du code du travail ». « Pour qui nous prend-on s’interroge Antoine Pissier ? Nos entreprises sont pour beaucoup des PME où l’humain est au cœur des relations ! Penser que licencier se fera sans douleur, c’est ahurissant ! »

Vers une ubérisation de la distribution des phytos ?

Pour les rapporteurs, «  les grands groupes coopératifs, soucieux de répondre à la demande de l’aval et des consommateurs de moins de produits phytopharmaceutiques, choisiront probablement de garder le conseil, laissant à des « groupements d’achats » ou à des plateformes spécialisées le soin de mettre à disposition les produits, a priori à un prix moindre. » Une situation qui devrait stimuler la concurrence, « favoriser la montée en puissance de l’ubérisation de la distribution des produits phytos » et pourrait aboutir à une vente sans conseil !

« Ce rapport infantilise l’agriculteur, souligne Antoine Pissier. Quand je lis qu’une baisse des prix des produits phyto pourrait se solder par davantage de traitements d’assurance, je suis effaré ! De même, il est écrit que l’absence de conseil éclairé pourrait entrainer la poursuite d’une utilisation non appropriée des produits phyto. En résumé, pour les auteurs du rapport, les agriculteurs sont incapables de prendre une décision seuls. Tout part du fait que pour le Gouvernement, il existe systématiquement un conflit d’intérêt entre le conseiller et le vendeur : fait que nous nous évertuons à dénoncer, preuves à l’appui, depuis bientôt deux ans ! Remettre en cause ce maillage territorial, c’est détruire un modèle économique basé sur un accompagnement de proximité, au quotidien ».