Référence agro

Séparation conseil/vente : sa refonte semble inéluctable

Le | Cooperatives-negoces

Dominique Potier et Stéphane Travert, rapporteurs d’une mission parlementaire sur la séparation du conseil et de la vente des produits phytosanitaires, ont, le 12 juillet, livré leurs propositions pour faire évoluer le système actuel « qui ne produit pas les effets escomptés » : abandon de la séparation capitalistique au profit d’une séparation opérationnelle ; pilotage par les chambres d’agriculture du conseil stratégique ; création d’un ordre européen des conseillers ; obligation de résultat pour les CEPP… et adaptation du calendrier réglementaire. Et si tout cela ne fonctionnait pas ? L’idée d’une prescription, comme en élevage, est évoquée.

Séparation conseil/vente : sa refonte semble inéluctable
Séparation conseil/vente : sa refonte semble inéluctable

Un peu plus de deux ans après l’entrée en vigueur de la séparation du conseil et de la vente des produits phytosanitaires, le député Dominique Potier et l’ancien ministre de l’Agriculture Stéphane Travert ont souhaité dresser un premier bilan en interrogeant toutes les parties prenantes de la filière (1). Le constat est, selon eux, sans appel. « Nous ne sommes pas à l’échelle de ce qui était voulu en termes de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires, explique Dominique Potier, le 12 juillet, lors de la restitution de la mission parlementaire sur le sujet. Le nombre de CEPP n’est pas au rendez-vous, le conseil spécifique continue quasi comme avant et le conseil stratégique est embourbé. Pour autant, pas question d’abandonner cette réforme. Renoncer ou réparer ? Nous avons choisi de réparer pour trouver les bons réglages. »

Les vendeurs continuent de prodiguer des conseils… par voie orale

Lors de leurs auditions, les rapporteurs ont pu constater que l’obligation de séparation entre la vente et le conseil spécifique n’est pas respectée sur le terrain. « Un certain nombre d’acteurs, bien qu’ayant choisi la vente, continuent de prodiguer des conseils oraux aux agriculteurs », indiquent-ils. Dans le même temps, les agriculteurs semblent s’être peu tournés vers le conseil spécifique fourni par le conseil indépendant. En cause, son coût (entre 500 et 1500 €/an), le manque de conseillers disponibles et le fait qu’un conseil spécifique informel continue d’être délivré par les vendeurs.

Des effets contreproductifs qui freinent la transition agroécologique

« Lors des auditions, les vendeurs ont souligné la difficulté de respecter l’interdiction de conseil, en raison du lien de proximité, et de confiance, établi avec les agriculteurs au fil des années, poursuit Stéphane Travert. Une insécurité juridique pour les vendeurs et les acheteurs en cas de problème et une situation qui peut conduire à des effets contreproductifs. En manque de conseil ou face à un conseil informel, les agriculteurs cherchent d’autres sources d’informations : sur internet ou dans les BSV, avec le risque de trouver un conseil non adapté au contexte de l’année. » Autant de pratiques qui, selon les rapporteurs, ne favorisent pas la réduction des usages de produits phytosanitaires. « Difficile aussi pour les vendeurs de mettre en avant des solutions combinatoires associant phytos, semences, biocontrôle, OAD… puisque légalement, ils n’ont plus le droit de conseiller des produits phytos », argumente Stéphane Travert.

Trop peu de conseils stratégiques délivrés

Concernant le conseil stratégique, CSP, le bilan est également très inférieur aux attentes, en qualité et en quantité. Au 22 mai 2023, seuls 9280 conseils stratégiques ont été délivrés par les chambres d’agriculture, sachant qu’à terme, 235 000 exploitations sont concernées. Une impasse pour ceux qui doivent renouveler leur certiphyto dès janvier 2024 ! Sans compter que le CSP délivré à ce jour, souvent de façon collective, est « dans la majorité des cas, inadapté aux besoins des agriculteurs », notent les rapporteurs.

Une évolution indispensable du système actuel

Dans ce contexte, les deux rapporteurs jugent indispensables les évolutions du régime de la séparation du conseil et de la vente. Ils proposent donc différentes solutions pour revaloriser la qualité du conseil, à commencer par :

  • La réforme du conseil spécifique pour le rendre plus transparent, effectif et efficace
  • La mise en place d’un conseil stratégique à la hauteur des enjeux de la transition agroécologique.

Concernant le conseil spécifique, les rapporteurs proposent de modifier le droit pour autoriser de nouveau les vendeurs à effectuer ce type de conseil. Ils préconisent donc une séparation entre la vente et le conseil spécifique, dont la nature ne sera plus capitalistique, mais opérationnelle. Cette séparation reposerait sur les piliers suivants :

  • Les vendeurs souhaitant vendre du conseil devront créer une filiale dédiée.
  • Une séparation des facturations devra être mise en place, pour garantir la transparence des tarifs et permettre à l’agriculteur de choisir entre le conseil spécifique proposé par son vendeur ou un autre conseil indépendant.
  • Le vendeur et le conseiller devront être deux personnes physiques distinctes, sauf pour les très petites structures.
  • La mise en place d’un ordre des conseillers sur le modèle québécois pour « garantir le respect des règles déontologiques de la profession et lutter contre les conflits d’intérêt. »

Faire monter en puissance les CEPP, avec des obligations de résultats

Les rapporteurs souhaitent également une montée en puissance des CEPP pour que les conseils des vendeurs s’accompagnent d’exigences accrues en termes de réduction de l’usage des pesticides. Ils souhaitent ainsi « élargir le champ des fiches CEPP en combinant aux obligations de moyens, des obligations de résultats. » L’idée de bonus/malus comme pour les certificats d’énergie a également été évoquée.

Bâtir un véritable conseil stratégique indépendant, confié aux chambres d’agriculture

Concernant le conseil stratégique, une adaptation du calendrier réglementaire semble nécessaire. « Mais elle ne doit en aucun cas se traduire par un abandon de ce conseil et de ses objectifs, qui doit au contraire gagner en ambition », précise Dominique Potier. Pour les rapporteurs, les référentiels de ce conseil doivent être retravaillés pour « veiller au niveau d’exigence nécessaire » et le nombre de conseillers sur le terrain, augmenté. À moyen terme, les rapporteurs considèrent également que la mission de conseil stratégique doit être confiée aux chambres d’agriculture, « à même de réunir, au sein d’un territoire, la diversité des acteurs qui composent le monde agricole. Le CSP deviendrait ainsi une mission de service public incombant aux chambres. » Des partenariats avec les entreprises de conseil indépendant pourraient, si besoin, être noués sous forme de subdélégation.

Et si tout cela ne fonctionne pas ?

« Si les propositions que nous formulons ne fonctionnent pas à l’horizon 2025-2026, il n’y aura plus qu’une seule solution : la prescription préalable à l’achat des produits phytosanitaires, par ordonnance, comme pour l’élevage, confie Dominique Potier. Aujourd’hui, nous savons que le monde agricole est vent debout devant cette proposition. Mais face à l’opinion publique qui ne veut plus de produits phytosanitaires et face aux questions sanitaires et environnementales grandissantes, nous serons obligés de nous poser la question de la prescription. Nous n’aurons pas le choix. »

Reste à convaincre le ministre

Toutes ces pistes de travail restent, à ce stade, des propositions. « Nous souhaitons désormais qu’elles puissent être expertisées par le gouvernement, confie Dominique Potier, interrogé par Référence-agro. Nous souhaitons rencontrer au plus vite le ministre de l’Agriculture pour évoquer ce dossier. Les contours de cette nouvelle organisation pourraient faire l’objet d’un travail préparatoire du CGAAER, pour, à terme, être intégrés dans la prochaine loi d’orientation agricole. »

(1) Ministère de l’Agriculture, chambres d’agriculture, coopératives, négoces, conseillers indépendants, IBMA, Inrae, Académie de l’Agriculture, syndicats et associations environnementales.