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Vente/conseil : concilier séparation capitalistique et CEPP, un sacré défi

Le | Cooperatives-negoces

Le 21 décembre, le Gouvernement a clôturé les Etats généraux de l'alimentation après cinq mois de discussions, sur un rythme effréné. Alors clap de fin ou nouveau départ ? Certes, un projet de loi est déjà en cours d'élaboration mais pour le reste (et cela représenterait plus de 95 % des mesures à mettre en place), tout est à construire. A commencer par le chantier propre à la distribution agricole : séparer, de façon capitalistique, la vente et le conseil des phytos au sein d'une même entreprise… le tout, en préservant les CEPP. Comme cadeau de Noël, il y avait surement mieux !


Après les réflexions, place à l'action. Après avoir compilé les propositions des participants des 14 ateliers, le gouvernement a rendu sa copie le 21 décembre à Bercy. Point fort des décisions : l'élaboration d'une loi, prévue pour le premier semestre 2018, pour « traduire les conclusions des EGA afin de rénover le cadre des négociations commerciales », précisait Stéphane Travert, en ouverture de la journée. Une loi qui, outre la fixation du seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions sur les produits alimentaires, établira le cadre de la séparation du conseil et de la vente des produits phytosanitaires chez les distributeurs.


Une séparation dans la douleur

Tout le monde s'y préparait mais pas forcément de façon capitalistique et encore moins, en préservant les CEPP. Sur le papier, la concrétisation de ces deux mesures, chères au président de la République, semble compliquée, voire impossible. « Comment peut-on gérer une base de CEPP tout en étant séparé de la prescription ? C'est l'un ou l'autre, auquel cas le business model ne tient pas », résume Jean-Paul Palancade, directeur d'Agrosud (photo). La perte de marge liée au conseil risque de pousser les distributeurs à ne plus référencer les produits les plus taxés, sous peine de vendre à perte, ce qui pourrait conduire provisoirement à des impasses agronomiques. Et du côté de l'utilisateur, cette séparation devrait logiquement s'accompagner d'une obligation de conseil. Si c'est le cas, les réactions des producteurs ne devraient pas se faire attendre, et la bagarre du conseil pourrait s'installer entre coopératives, négoces et chambres d'Agriculture. Même son de cloche, le 20 décembre, lors du congrès de Coop de France, par la voix de Michel Prugue, son président. S'adressant au ministre présent à la tribune : « il semblerait qu'une séparation capitalistique soit engagée. A-t-on réellement envisagé les conséquences et les risques d'une telle décision ? Quant au conseil, nous ne nous en séparerons jamais car il est constitutif de notre raison d'être ».


Mi-2018, beaucoup trop court

« Numéro d'équilibriste », « écriture législative délicate », « besoin de temps pour affiner le texte de loi »… Selon les propres mots de leurs représentants, les services des ministères de l'Agriculture et de la Transition écologique ont peu de marge. Un certain nombre d'acteurs du secteur imaginaient que la séparation de la vente et du conseil entérinerait la fin des CEPP. Mais les échanges en ateliers, lors des EGA, auraient montré un attachement de certains participants à ce dispositif, incitant le Gouvernement à le conserver. Ce dernier compte trouver la bonne formule tout en respectant le calendrier imposé par Emmanuel Macron : la première lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale est prévue pour le premier trimestre 2018, dans l'objectif d'une adoption avant la fin du premier semestre. C'est-à-dire, demain ! Pour Thierry Blandinières, le directeur général d'InVivo (photo), ce délai semble effectivement un peu court. « Une loi prévue en 2018, cela me semble un peu court et pas la bonne solution. Cinq ans serait un bon calendrier. Et puis pourquoi changer si c'est pour complexifier ? », questionne-t-il.

Du côté de la plateforme CEPP, même si la loi rassure sur la pérennité du système, l'interrogation subsiste. « Nous savons que les obligés continueront à vendre les solutions, explique Maud Blanck, chargée de projet à la commission des CEPP. Mais nous restons en attente de précisions quant au type de conseil à séparer, à savoir si la loi ira jusqu'au conseil stratégique.  »


Flécher le plan d'investissement de cinq milliards d'euros

Mais cette loi devrait également un cadre à d'autres sujets comme l'instauration de produits bio/de qualité/locaux dans la restauration publique collective, la lutte contre le gaspillage alimentaire ou contre la maltraitance aux animaux. À en croire les équipes du ministère de l'Agriculture, ce texte ne représentera que « 5 % » des retombées des EGA. Pour le reste, le gouvernement compte sur les plans de filière rédigés par les différentes organisations (déjà une trentaine) pour mettre en avant de nouvelles propositions. Celles-ci devraient être soumises aux associations de consommateurs en janvier, avant d'être validées ou non par le Gouvernement. Devrait suivre ensuite le détail du plan d'investissement de 5 milliards d'euros prévu pour l'agriculture.


Etablir des délais tenables

Et puis au-delà du volet législatif, d'autres plans devraient voir le jour, découlant directement des échanges lors des EGA. Ainsi, un nouveau plan « Ambition bio » devrait être créé dans le courant du premier trimestre 2018, portant des objectifs à 2022. Le Programme national nutrition santé (PNNS), Programme national pour l'alimentation (PNA) et le Plan national santé environnement (PNSE) évolueront, ne serait-ce que dans leurs modèles de gouvernance, pour faire plus de place au monde associatif. Les projets alimentaires territoriaux seront quant à eux « redynamisés ».

Vous l'aurez compris, les idées ne manquent pas. D'ailleurs, le ministre a tenu à saluer la participation de tous : filières agricoles bien sûr mais aussi société civile, élus nationaux ou locaux. Une dynamique qui, selon lui, doit se poursuivre pour construire l'avenir. La profession, elle, ne demande que cela. A condition que les objectifs soient réalisables et les délais, tenables.