Crise ukrainienne : quels impacts sur les marchés ?
Le
Sébastien Abis, chercheur associé à l’Iris (1), livre à chaud aux lecteurs de reference-appro.com les impacts possibles, sur les marchés, de la volte-face de l’Ukraine qui, fin novembre, décidait de tourner le dos à l’Europe. La création d’une « OPEP des céréales mer Noire » évoquée le 16 octobre entre l’Ukraine, la Russie et le Kazakhstan doit-elle désormais être prise au sérieux ?
« En décidant fin novembre, à la surprise générale, de repousser la signature d’un accord d’association avec l’Union européenne négocié depuis trois ans, le président ukrainien savait qu’il allait surprendre l’Europe et se mettre à dos une partie de son pays, favorable au rapprochement vers l’Ouest. Les manifestations n’ont pas tardé : l’avenir de l’équipe au pouvoir devrait se décider dans les semaines à venir. En revanche, la géographie faisant loi, l'Ukraine restera durablement tiraillée entre l'UE et la Russie. A plus forte raison si persiste l'incapacité de l'Europe à avoir une articulation stratégique avec la puissance russe. En attendant, à coup d’arguments politiques et énergétiques, Moscou montre ici encore son influence sur son voisin ukrainien.
Peser à l’export
La volte-face ukrainienne pourrait avoir des conséquences sur le marché mondial des céréales. En effet, évoquée le 16 octobre, la création d’un pool céréalier autour de la mer Noire ne semblait à l’époque qu’un nouveau fait d’annonce histoire, pour les trois protagonistes - Russie, Ukraine et Kazakhstan - de peser psychologiquement sur les autres puissances exportatrices de céréales, à commencer par les Etats-Unis, l’Europe ou l’Australie. La réaction de l’Ukraine pourrait apparaitre comme un signal positif à la création de cette Opep des céréales. Même si de sérieux freins persistent - déficience logistique, agriculteurs peu favorables, instabilité climatique, imprévisibilité juridique et politique des trois gouvernements… -, ce projet ne doit pas être pris à la légère. Car les objectifs affichés sont ambitieux : peser sur les marchés pour agir sur les prix, attirer de nouveaux investisseurs et surtout, montrer aux concurrents que les pays de la mer Noire s’organisent et positionnent leur agriculture et leurs céréales en haut de leur agenda stratégique. A eux trois, ces pays représentent plus de 15 % de la production mondiale de blé et 20 % des exportations mondiales.
Revoir sa stratégie
Même en l’état d’annonce, ce projet doit obliger l’Europe à s’interroger sur la stratégie à mettre en place en n’oubliant pas que la production céréalière du continent peut constituer une puissance économique et ce, d’autant plus si l’Ukraine se ralliait à l’Europe. Cette dernière doit séduire l’Ukraine car elle a à y gagner. D’autres l’ont déjà compris. La Chine par exemple qui, en investissant en Ukraine, cherche à asseoir sa sécurité alimentaire. Une Ukraine européenne donnerait un poids céréalier supplémentaire considérable à l’Union : en production mais aussi à l’export. L’Union européenne pourrait avoir une influence géoéconomique considérable grâce aux céréales et donc, peser davantage sur le cours des affaires internationales. A l’échelle de la France, ce débat prend toute son ampleur à l’heure où le pays cherche à reconquérir des positions géoéconomiques capables de redresser sa croissance. Elle ne doit pas hésiter à revendiquer le rôle géopolitique des céréales ».
(1) Institut de relations internationales et stratégiques
Pour en savoir plus, consulter la note d’analyse rédigée par Sébastien Abis, le 25 novembre dans « Futuribles international » : « Vers une Opep des céréales autour de la mer Noire ».