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Élevage : « Réorganiser les filières jusqu’à l’aval » (Bruno Colin, La Coopération agricole)

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Crédit photo : Chambre agriculture de Normandie - © D.R.
Crédit photo : Chambre agriculture de Normandie - © D.R.

« Aujourd’hui, Egalim s’arrête au tout début de la filière. Il n’y a aucun contrat avec l’interlocuteur du client. Les filières doivent se réorganiser, pour être plus abouties jusqu’à l’aval », a déclaré Bruno Colin, président du pôle animal et de la section bovine de La Coopération Agricole (LCA) le 19 juin 2024 à Paris. Le pôle animal du syndicat a dressé la conjoncture économique des marchés de la viande pour l’année 2023 et présenté sa feuille de route pour 2024. Quatre priorités ont été affichées :

- Assurer le renouvellement des générations d’éleveurs ;

- Organiser les filières ;

- Anticiper les crises ;

- Prendre en compte les attentes sociétales (environnement et bien-être animal).

Les productions en baisse, une consommation stable

En 2023, trois filières viande sur les quatre ont enregistré une baisse des abattages par rapport à 2022 :

• les gros bovins (-4,1 %), avec une réduction considérable des cheptels en 7 ans (-564 000 pour les allaitants, -409 000 pour les laitiers),

• les porcs (-4,9 %) avec une réduction du nombre de truies de 2 % par rapport à 2022 (contre +1,8 % pour l’UE),

• les ovins (-8 %) avec une baisse des volumes pour les ovins adultes et les agneaux comparé à 2022.

Seule la filière volaille a connu une hausse de ses abattages, de 2 %, dans un contexte de sortie de crise d’influenza aviaire en 2022. Par rapport à 2021, les abattages sont en baisse de 3,5 %. En parallèle, la consommation de viande en 2023 se stabilise pour l’ensemble des filières.

Une dégradation de l’autosuffisance des filières viandes françaises

Ce décalage entre baisse globale des productions et une consommation stable entraîne une dégradation progressive de l’auto-approvisionnement français dans ses filières d’élevage. « Aujourd’hui, la France perd peu à peu de sa souveraineté dans la filière animale. À date, aucune filière viande n’est autosuffisante », déclare Gaëlle Dupas. À titre de comparaison, en 2010, l’ensemble des filières françaises de viande étaient autosuffisantes (exceptée la filière ovine, qui ne l’a jamais été depuis 1970).

Dans le détail, en 2023, la filière bovine satisfaisait 75 % de la consommation nationale (contre 90 % en 2022), la filière porcine 99 % (101 % en 2022) et la filière volaille 51 % (83 % en 2022). Seule la filière ovine s’est stabilisée, à 51 % (50 % en 2022).

Le renouvellement des générations « menacé par les guérillas administratives et leur lourdeur »

La Coopération agricole appelle à plus d’investissement pour accompagner les éleveurs dans les démarches administratives, jugées trop lourdes par beaucoup. « Il est crucial d’investir pour assurer un renouvellement, car certains baissent les bras devant le nombre de recours auxquels ils font face, notamment de la part d’associations. Nous sommes sans cesse dans des guérillas administratives. Cela met également en danger notre sécurité alimentaire. Nous ne demandons pas un allègement des normes, mais une simplification des dossiers et une sécurisation des exploitations », indique Philippe Bizien. Selon lui, les lourdeurs administratives sont contre-productives et ouvrent la porte aux importations. La multiplication des recours paralyse la création et la modernisation d’infrastructures d’élevage.

En qualité de président de la filière porcine, Philipe Bizien répond aux interrogations concernant l’enquête antidumping annoncée par la Chine sur le porc en provenance de l’UE, qui concerne notamment la filière française le 17 juin 2024 : « L’histoire se répète. Ce n’est pas la première fois que nos matières et productions agricoles sont prises en otage dans une guerre commerciale. Nous attendons d’avoir plus d’éléments, et nous répondrons à ce qui nous est demandé ».

« Il y a un décalage entre la réglementation, française et européenne, qui change régulièrement, et le temps nécessaire à une exploitation pour amortir des investissements, réalisés pour répondre à ces réglementations. Le temps est souvent long. Les règles ont le temps de changer entre-temps », ajoute François Monge.

« Nous avons besoin d’un engagement fort de la distribution sur tous les niveaux »

La Coopération agricole souhaite également prioriser des réflexions et des mesures pour réorganiser les filières. « Le marché s’est retourné. L’acte d’achat n’est plus le même, et il y a de plus en plus d’achats de viande hors domicile, en restauration par exemple. Il n’y a pas un marché de viande, mais plusieurs. Egalim doit démultiplier les partenariats sur l’ensemble des créneaux de distribution », déclare Bruno Colin.

Le syndicat demande également plus de souplesse pour les agriculteurs dans la contractualisation, notamment sur la durée des contrats. « Les filières doivent se réorganiser. La viande d’importation est aujourd’hui de plus en plus facile d’accès », selon le président de la filière bovine. Il souhaite aussi que les organisations de producteurs puissent avoir accès aux aides de la PAC, via les programmes opérationnels.

« L’État ne doit pas se désengager du financement des crises »

« Il faut que l’État renforce son aide financière lors des crises sanitaires que le monde agricole connaît et connaîtra encore. C’est un enjeu de souveraineté alimentaire majeure, mais aussi de santé publique », indique François Lacôme. Le coût qu’a représenté la gestion de la crise d’influenza aviaire en 2022 est estimé à 1 Md€. « La situation économique des filières ne permet pas d’assumer seules ces coûts. L’État doit être à nos côtés, dans la logique One Health - une seule santé », dit-il.

« Pour retrouver des filières souveraines, nous devons être l’écoute des attentes sociétales, sur le plan environnemental et sur le bien-être animal. Pour cela, il faut une cohérence entre les réglementations et les délais administratifs », ajoute François Monge.

La Coopération agricole tiendra une conférence au salon SPACE 2024, à Rennes, le 17 septembre 2024, intitulée « Investir dans le bien-être animal : coûts versus bénéfices ».