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Agriculture et biodiversité : « un véritable défi de communication », Bernard Ollié, président de l'agence de conseil Good.

Le | Environnement-agroecologie

Comment expliquer les efforts d’une filière agricole qui s’investit dans la préservation de la biodiversité ? Quels sont les leviers susceptibles de motiver le consommateur ? Bernard Ollié, président de l’agence de conseil Good, spécialiste des consommations alternatives et émergentes, partage son expérience.

Référence environnement : Quelle sont les difficultés principales pour un porteur de projet agricole qui veut valoriser des actions pour préserver la biodiversité ?

Bernard Ollié : Le défi est de faire passer l’idée de la complexité du vivant dans une situation de vie pour le consommateur, d’achat ou devant la télévision ou son portable, qui sera forcément réductrice. Produire un fruit ou un légume demande beaucoup d’énergie, de savoirs et de techniques complexes. Peu de consommateurs en sont conscients ou peuvent y accorder suffisamment d’attention. Rajouter à cette somme de techniques et de savoirs une considération supplémentaire sur la biodiversité, c’est gérer une complexité puissance dix ! Qui sait le nombre, les milliers d’espèces animales ou végétales, qui existent dans un champ ?

R.E. : Comment arriver alors à impliquer le consommateur ?

B.O. : La première des difficultés vient du fait que la biodiversité est un de ces sujets « politiquement corrects ». Tout le monde est d’accord pour la protéger, même si personne ne sait ce que c’est.

Pour changer, passer de l’attitude au comportement, c’est-à-dire à l’achat, il faut utiliser des approches qui ont prouvé leur efficacité dont la principale consiste à réduire la complexité. Simplifier donc, extraire de cette complexité un ou quelques critères, quelques facteurs qui ont un impact direct sur la vie des consommateurs et les motivent.

Par exemple, l’agriculture biologique a bénéficié d’une forme de simplification. Aujourd’hui, ces deux lettres parlent à tout le monde. Pourtant, peu de gens y associent la pratique agricole, avec sa complexité, de conversion, de changement de pratique et de modèle économique… « AB » véhicule en fait des images plus simples. « AB » respecte l’environnement, est attentif aux conditions sociales et morales et, surtout, préserve la santé. Avec cette idée encore plus réductrice : « AB » protège en quelque sorte du cancer. C’est là que se trouve le secret de sa réussite.

R.E. : Cette stratégie de réduction est-elle adaptable pour la biodiversité ?

B.O. : Oui tout à fait, nous avons vécu cette expérience en 2010 avec Demain la Terre, un groupe d’agriculteurs réunis par une même vision de l’agriculture raisonnée. Le référentiel de Demain la Terre comprend un chapitre sur la biodiversité. Au-delà des critères évidents et complets de la biodiversité, nous avions retenu l’abeille comme axe directeur des efforts à porter. Une bonne idée : c’est un animal apprécié par tous, mais au-delà, c’est un maillon essentiel de la chaine du vivant. Sans abeille, pas de pollinisation, pas de plantes à fleurs. Or, on le sait, les abeilles meurent en masse.

Avec le soutien des apiculteurs, avec l’Unfaf, nous avons mis au point un label de préservation des abeilles, Bee Friendly. Certifié par Ecocert, ce label a reçu un excellent accueil des producteurs, des transformateurs, des apiculteurs, des pouvoirs publics … et des consommateurs. La fin de l’histoire montre la réalité de la perception des consommateurs et non pas le fantasme qu’en ont les acteurs économiques… Les tests-consommateurs ont montré que le dessin du label, un cœur, une abeille, et son nom n’étaient pas compris. Les personnes interrogées y voient en majorité un insecte protégé. Donc Bee Friendly signifie « pas d’insecticide », et par là, « pas de cancer ». On mange une pomme Bee Friendly pour se protéger du cancer et non pas pour sauver l’abeille… L’histoire se répète. Comme pour AB, le label a été conçu pour préserver l’écosystème et a finalement été acheté par le consommateur pour préserver sa santé …

R.E. : Quel enseignement en tirer ? Faut-il impérativement présenter au consommateur un intérêt direct pour lui ?

B.O. : Il y a trois leçons à en tirer. La première, c’est qu’il faut créer un « court-circuit émotionnel », plutôt que de rentrer dans les détails techniques d’une démarche. Expliquer de manière réduite et symbolique les effets de la perte de biodiversité et en ramener ses impacts à notre vie de tous les jours.

La deuxième leçon, c’est qu’il est plus judicieux d’identifier une ou des espèces emblématiques comme porte-parole, une espèce dont la disparition est la base du château de cartes

Ce n’est pas si évident : le ver de terre par exemple est un indicateur majeur de vitalité des sols pour les agriculteurs. Mais avez-vous envie pour autant d’acheter un produit dont l’emballage affiche une photo de vers de terre, même s’il est présenté en pleine forme ?

Enfin, la troisième, c’est qu’il est important d’évoquer la biodiversité comme un patrimoine commun que nous avons reçu en héritage. Tout d’abord, ne pas dégrader ce patrimoine hérité, il est la Nature. Conservé en l’état, il abrite la Vie, dégradé, il ne le fait plus.