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La filière française céréalière veut passer à l’offensive face à la présence russe en Afrique

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« La filière céréalière française face à la menace russe » : c’est autour de cette thématique que les différents intervenants de la 15e matinée export d’Intercéréales ont échangé, le 20 mars 2024. Les représentants de la filière ont notamment fait le constat d’une présence offensive de la Russie en Afrique, pour supplanter l’UE et la France en termes d’influence et de marché.

La 15e matinée export d’Intercéréales était organisée le 20 mars 2024 à Paris.
Crédit photo : Interc - © D.R.
La 15e matinée export d’Intercéréales était organisée le 20 mars 2024 à Paris. Crédit photo : Interc - © D.R.

« Nous parlons beaucoup de l’Ukraine, mais la Russie est le facteur de distorsion numéro un des marchés ; guerre ou pas guerre, ce pays est à regarder de près », assure Philippe Heusele, président des relations internationales d’Intercéréales, en conclusion de la 15e matinée export de l’interprofession, le 20 mars 2024, organisée autour de la thématique de  « la menace russe » sur la filière céréalière française. 600 personnes étaient présentes. « Alors qu’au début des années 1990, la Russie n’exportait pas une tonne de céréales, elle œuvre désormais de façon décalée par rapport aux fondamentaux du marché, pour nous sortir de plusieurs pays d’Afrique », note pour sa part Jean-François Loiseau, le président d’ Intercéréales.

« Le masque de la politique russe en Afrique est tombé »

La présence russe sur le continent africain est en effet source d’inquiétudes. Signe de sa prise de position : le pays a noué des accords militaires avec près de la moitié des États africains. « Le masque de la politique russe en Afrique est tombé, résume Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales, Ifri. Ses objectifs sont évidents, à savoir montrer qu’elle n’est pas isolée, évincer l’influence occidentale et notamment française, créer une inquiétude stratégique, voire des troubles sur le flanc sud-est de l’UE, mais aussi avoir une voie de contournement des sanctions économiques [liées à l’invasion de l’Ukraine]. » Une situation dont se dit conscient le Gouvernement, à travers la voix de Franck Riester, le ministre délégué au commerce extérieur, invité à intervenir en ouverture de la matinée : « Nous devons être offensifs pour empêcher la Russie de sortir l’Europe et la France de l’Afrique », plaide le ministre.

La France encore bien présente au Maroc

Au-delà de son influence géopolitique, la Russie grignote indéniablement des parts de marché, parfois historiquement possédées par l’UE ou la France. C’est notamment le cas de l’Algérie, qui sort peu à peu du giron de l’Hexagone, rappelle Roland Guiragossian, à la tête du bureau « Algérie et Moyen Orient » d’Intercéréales : « Fin février, les importations en provenance de la Russie représentaient 1,6 Mt, soit 40 % des achats de la campagne, et autant que la totalité de celle de 2021-2022. » Si l’origine française a légèrement remonté début 2024, l’Algérie figure désormais dans le top 5 des pays importateurs de blé russe. Au Maroc, la France conserve sa place de leader avec plus de 50 % de parts de marché contre moins de 10 %, pour la Russie, pour 2023-24. « Les relations diplomatiques entre la France et le Maroc sont de nouveau au beau fixe, mais la présence russe est de plus en plus importante, souligne Yann Lebeau, responsable du bureau « Maghreb - Afrique subsaharienne ». Une cinquantaine d’attachés agricoles a ainsi été déployée, pour tenter de convaincre de se tourner vers les céréales russes. »

Enfin, en Égypte, le blé russe a renforcé sa position de domination dans le cadre du conflit russo-ukrainien. Pour la campagne 2023-24, la Russie détient ainsi 66 % des parts de marché, contre seulement 14 % pour l’Ukraine. Ses chiffres étaient respectivement de 44 et 30 % en 2021-22. « Le Gasc [l’organe en charge de l’achat du blé, ndlr] a totalement changé son modèle de business, souligne Roland Guiragossian. 62 % du marché est opéré par des entreprises russes dont on ne connaissait pas le nom il y a quelques années. »

 

L’économie russe, « touchée mais pas coulée »

Après une chute de 2 % en 2022, l’économie russe a rebondi de 3,5 % en 2023. Si deux tiers des entreprises russes se disent touchées par les sanctions économiques prises par l’UE, « les attentes concernant les effets de ces sanctions étaient peut-être excessives, appuie Julien Vercueil, professeur d’économie et vice-président de l’Institut national des langues et civilisations orientales, Inalco. L’économie russe a été touchée, mais pas coulée, ne croyons pas que celle-ci se soit repliée sur elle-même. Si les échanges avec les pays occidentaux ont largement baissé, ceux avec d’autres pays comme la Chine se sont maintenus, voire développés ». L’Inde a ainsi multiplié par douze ses importations de pétrole brut depuis la Russie, qu’elle transforme ensuite et revend, notamment à l’UE et aux États-Unis. Quant aux importations de céréales russes par l’UE, celles-ci n’ont pas totalement disparu : elles représentent actuellement 5 % des quantités importées de blé tendre, 4 % pour l’orge et 1,7 % pour le maïs.