Lait : viser la matière grasse… pour répondre à un marché en pleine évolution
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Dans un contexte de crise laitière et de volume toujours à la hausse, les industriels doivent anticiper les évolutions du marché. Lequel s'oriente vers l'international, notamment l'Asie, avec une demande accrue en matière grasse. Face à ces évolutions, la France doit se positionner. Mais que faire des surplus, de poudre de lait maigre notamment ? Analyse de Christophe Lafougère, directeur de la société de conseil Gira, et témoignages de Sodiaal, Eurial et Bel.
La production de lait continue de croitre. « Elle devrait augmenter de 93 millions de tonnes entre 2016 et 2021 dans le monde », explique Christophe Lafougère, directeur de la société de conseil Gira, à l'occasion des rencontres laitières du Grand Ouest organisées le 4 juillet à Rennes. Certes, la croissance ralentit : elle était de 1,3 % entre 2005 et 2010, 2,1 % entre 2010 et 2015 avec un pic à 3,8 % en 2014, avec même une baisse conjoncturelle de 0,2 % en 2016, liée principalement aux mauvaises conditions climatiques en Australie et Nouvelle-Zélande. Mais, pour 2017, les prévisions tablent sur une hausse de 0,9 % pour les principaux pays laitiers et de 0,6 % en Europe. « Dans le vieux continent, cette augmentation est surtout tirée par la Pologne, l'Irlande et les Pays-Bas, précise Christophe Lafougère. En 2021, la production atteindra 161 Mt en Europe, soutenue par une croissance de 1,2 % par an. »
Du fromage et du beurre
Dans un secteur en crise, la question est alors de savoir ce que l'on va faire de cette production. « Du fromage principalement et du beurre ! insiste Christophe Lafougère. Le marché va désormais être tiré par la matière grasse et moins par les protéines. Il faudrait donc que les industriels adaptent leurs stratégies. »
La tendance est déjà là. En 2016, l'Union européenne a produit 9,645 Mt de fromages, en hausse de 96000 tonnes par rapport à 2015. De même pour le beurre et la matière grasse, avec des volumes s'élevant à 2,4 Mt, en hausse de 60 000 tonnes par rapport à 2015.
La Chine et la Russie
Autre interrogation : qui va acheter ? La Chine, bien sûr, qui a importé 12 Mds de litres de lait en 2016. « Pour les cinq prochaines années, dans ce pays, les importations de fromages devraient croitre de 14 % par an, 15 % pour la crème et 0,5 % pour le lait », poursuit Christophe Lafougère. En conséquence, dès 2021, le pays va devenir le premier acheteur de beurre/matière grasse, avec 14 % du marché, assure le Gira, détrônant la Russie. Laquelle conservera toutefois ses 10 % du marché. Le beurre a aussi le vent en poupe aux États-Unis, pour des questions de santé. « Et cela va durer, assure le consultant. Nous devrions rester sur un prix du beurre relativement élevé. »
La France doit se positionner
Face à ses évolutions, la France doit se positionner. « Pour s'approvisionner en produits laitiers, la Chine contrôle ses importations, explique Christophe Lafougère. La France a toute la légitimité pour aller chercher des parts de marché. »
Reste à savoir si cette conjoncture rassurera les éleveurs. La Confédération paysanne a manifesté (photo) lors de la conférence pour alerter sur leur détresse : les stocks de poudre de lait maigre grandissent, coûtent cher et ne trouvent pas preneur. La Confédération demande aussi aux industriels de répercuter la valeur ajoutée jusqu'à l'amont. Christophe Lafougère le reconnait : si des marchés de niche se développent, la majorité des produits laitiers restera connectée au prix.
Antoine Meurisse, directeur marketing Sodiaal
« 72 % de la croissance de la demande en produits laitiers se situent en Asie, même si le Moyen-orient et l'Afrique augmentent aussi leur consommation. Le food service est une tendance majeure : nous devons aller vers des fromages internationaux, pour les enfants, avec des goûts fraise ou vanille par exemple. Quant au lait, la consommation a chuté en Europe. Il faut alors chercher à valoriser les allégations de santé et investir dans la R&D.
Présents dans 80 pays, nous mettons l'accent sur l'international. Dans ce cadre, nous nous concentrons seulement sur quelques marques afin de leur donner un fort impact. En effet, le marché chinois n'est accessible que si la marque est légitime dans le pays d'origine. Les consommateurs veulent être rassurés. Ce qui passe aussi par la traçabilité : avec notre démarche « la Route du lait », nous expliquons sur le packaging d'où viennent les produits, les bonnes pratiques environnementales ou encore le bien-être animal. »
Bertrand Rouault, directeur général adjoint Eurial
« Nous allons doubler notre volume de lait bio, qui s'élève à 61 millions de litres actuellement, sur un total de 2,38 Mds de litres de lait collecté. L'objectif est d'augmenter la valeur ajoutée de nos produits pour réduire l'impact de la volatilité des prix. Autre piste de développement : le fromage et l'exportation. »
Laurent Develet, directeur des achats alimentaires chez Bel
« À l'international, qui représente 80 % de notre chiffre d'affaires, nous souhaitons capitaliser sur l'image France qui procure de la confiance aux consommateurs. Notre pays est reconnu pour son excellence, la diversité de ses produits, son savoir-faire industriel. Mais attention, nous ne sommes pas les seuls à jouer cette carte. Il faut être réactif et ne pas s'endormir sur ses lauriers. »