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Point de vue - Pierre Cazeneuve, GCLDD : la fin des producteurs d’engrais français ?

Le

reference-appro.com ouvre à ses lecteurs ses colonnes, pour des analyses ou points de vue. Cette semaine, Pierre Cazeneuve, directeur de CGL Développement Durable s’inquiète du devenir de l’industrie française des engrais.

« En 2010, GCL Développement Durable avait rédigé une étude prospective sur la filière de la fertilisation pour le centre d’étude et de prospective (CEP) du ministère de l’Agriculture. Nous en pointions notamment la forte dépendance ainsi que la montée en puissance des acteurs contrôlant la matière première de base à savoir le gaz naturel pour l’azote, les mines de phosphate et de potassium pour les deux autres éléments fertilisants. Le corollaire de cette situation était la probable transformation de la France en un territoire de plateforme logistique et une perte des pouvoirs de décision et ses conséquences pour l’agriculture française. Nous proposions alors la création d’un plan Eco-Fertilisation. En deux années seulement, les différents mouvements capitalistiques ont conforté notre analyse initiale.

Plusieurs événements se sont succédés :

- Juin 2010 : la société hollandaise DSM Agro, productrice d’azote est rachetée par le groupe égyptien OCI, producteur d’engrais azotés ;

- Octobre 2011 : la société russe Eurochem rachète les sites industriels de BASF Engrais, producteurs européens ;

- Février 2012 : après avoir racheté les 50 % de l’usine de produits azotés PEC RHIN à son partenaire BASF, GPN revend 100 % de l’usine à Boréalis, groupe chimique autrichien possédé à 64 % par l’International Petroleum Investment Company (IPIC) d’Abu Dhabi, le restant étant possédé par le groupe pétrolier autrichien OMV ;

Parmi les grands producteurs d’engrais sur le marché français, il n’existe plus que deux producteurs dont le centre de décision est situé en France. Le groupe familial d’agrofourniture Roullier, producteur de NPK et GPN, propriété du groupe Total, parmi les géants du pétrole et du gaz naturel. Le premier n’a pas d’accès direct aux matières premières et le deuxième ne dispose que de deux sites de production et un actionnaire dont on ne connait pas précisément l’ambition sur sa filiale.

Mon propos n’est en aucun cas de fustiger la possible arrivée de nouveaux entrants dont les objectifs sont tout à fait compréhensibles mais plutôt de mettre en lumière les conséquences de notre immobilisme, notre manque d’ambition face à un monde en perpétuel mouvement. Tout cela dans une industrie stratégique en amont direct de l’agriculture, qui doit pourtant se préparer à faire face à son plus grand défi, nourrir toujours plus de personnes tout en préservant son environnement.

Sans stratégie ni ambition forte basée sur l’innovation et la rupture technologique, il est tout à fait envisageable de n’avoir plus aucun producteur français à moyen terme. Il sera alors très intéressant de voir la réaction des producteurs restant lorsqu’on leur demandera d’innover, de s’adapter à notre situation alors qu’assis sur des montagnes de matières premières non-renouvelables mais pas chères, leur seul intérêt sera d’écouler des produits… de chez nous… ou surtout de chez eux ! »